Par Yann Saint-Sernin
A Bordeaux, ils se souviennent de l'Africain qui marchait
Amadou Bocoum, mort dans des circonstances mystérieuses
sur la rocade, était une figure du campus bordelais.
Amadou Bocoum. photo dr
Il aimait marcher. Il marchait sans arrêt. Il est mort le 6 août dernier sur la rocade près de Bruges, tandis qu'il marchait sur la bande d'arrêt d'urgence, percuté par un automobiliste qui a pris la fuite. Que faisait Amadou Bocoum à pied sur la rocade cette nuit-là ? C'est ce que l'information judiciaire ouverte par le parquet de Bordeaux (lire ci-dessous) devra déterminer.
Né à Tombouctou au Mali, et arrivé à Bordeaux dans les années 1970, Amadou Bocoum, 59 ans, n'avait jamais passé sa thèse de droit. Il n'a pourtant jamais cessé de fréquenter le campus, et les bibliothèques. L'homme, surnommé « le maestro » tant par les étudiants africains de Bordeaux que par une partie des enseignants s'était imposé comme une figure intellectuelle bordelaise. Une figure anonyme.
« C'était incroyable, il connaissait tout sur tout. Un véritable puits de science, spécialisé notamment dans l'histoire de la décolonisation africaine. Il m'arrivait fréquemment de lui faire relire mes notes avant une conférence », dit de lui son ami Badou Fall, professeur à l'Université de Bordeaux 4.
Sur le campus de Pessac, le Maestro s'était imposé comme le grand frère des étudiants africains. Celui qui assistait aux soutenances de thèse, donnait des conseils sur des points ardus de droit. « C'était un intellectuel africain dans toute sa splendeur », renchérit Cédric Milhat, directeur juridique d'Abbeville (Somme) et ancien condisciple d'Amadou.
Témoignages de soutien :
Amadou Bocoum n'a jamais rien publié. Il préférait marcher. « Un jour, ma femme lui a demandé pourquoi il n'écrivait pas un livre. Il a répondu : ''je garde ça pour moi'' », se souvient encore Cédric Mihlat.
Amadou Bocoum a vécu chichement. Sans poste prestigieux. Sans téléphone portable. Ses amis se souviennent que lorsqu'il se présentait chez eux en leur absence, il laissait un ticket de tram dans la boîte aux lettres pour signaler son passage. « Je voulais le faire embaucher dans une université africaine. Le ministre le voulait. Lui, il a refusé », ajoute Badou Fall.
« C'était un homme du désert, un homme libre » complète son ami l'avocat bordelais Me Jean-Claude Semiramoth.
Depuis quelques années, il parlait de retourner au Mali. Sans pouvoir s'y résoudre. « Il se sentait bordelais. Sincèrement bordelais », ajoute Badou Fall.
L'universitaire ne compte plus les témoignages de soutien issus d'anciens étudiants, disséminés partout en Europe. Ils se sont cotisés pour rapatrier sa dépouille au Mali.
Le 6 août dernier, il avait passé l'après-midi dans une association dans le quartier Saint-Michel. Il avait aussi joué au PMU. Dans son entourage, on croit que cette nuit-là, s'il s'est retrouvé sur la rocade, « c'est que quelqu'un l'y a déposé ».
La dernière personne à l'avoir aperçu était dans un tram. Il était 23 heures. Près de la place de la Bourse. Le Maestro marchait.