C’est l’histoire tout simple d’un Ťstewť qui a tout simplement craqué, aprčs 19 ans de métier. Au terme d’un vol Pittsburgh-New York, Steven Slater a brusquement perdu patience quand une passagčre impatiente s’est levée pour reprendre son bagage ŕ main, alors que l’Embraer E-170 de JetBlue roulait encore. Il lui a demandé de s’asseoir, le ton a monté, un échange peu amčne s’en est suivi. Notre homme s’est alors emparé du micro, a dit aux passagers tout le mal qu’il pensait d’eux, a bu une cannette de bičre et, aussitôt l’avion immobilisé, il a activé le toboggan d’évacuation d’urgence et s’en est allé. Bien entendu, il a été arręté peu aprčs et a ensuite été libéré sous caution en attendant le procčs.
Autant aller immédiatement ŕ l’essentiel : hôtesses et stewards ont enfin leurs héros et tous les PNC de la plančte vont peut-ętre se cotiser pour lui ériger une immense statue. Son geste de mauvaise humeur, sans aucun doute spontané et sincčre, est évidemment le résultat d’immenses frustrations accumulées tout au long de millier d’heures de vol. A force d’ętre de plus en plus systématiquement considérés comme des moins que rien tout juste bons ŕ distribuer des boissons gratuites, ils prennent souvent le Ťsystčmeť en grippe.
Du coup, on espčre que le bon Steven sera absous, sachant que c’est au nom de l’ensemble de sa profession qu’il a disjoncté. C’est pourtant loin d’ętre certain, męme ŕ New York, dans un environnement dont on sait ŕ quel point il est réglo et puritain. L’incident ŕ peine connu, les grands mots ont d’ailleurs été employés : Ťcriminal chargesť et Ťcriminal mischiefť. JetBlue s’est enfermée dans un silence prudent mais s’est quand męme empressée de distribuer aux passagers du vol un bon d’achat de compensation de 100 dollars. De compensation de quoi ? L’avion s’est posé ŕ l’heure ŕ JFK et le bref échange de noms d’oiseaux a été perçu par quelques personnes seulement. D’oů l’irrésistible envie d’adresser un message d’amitié au bon Steven, ce que commencent ŕ faire des PNC de lŕ-bas, d’ici et d’ailleurs. C’est d’autant plus facile que le nouveau héros figure en bonne place dans le réseau social Facebook. Moyennant quoi nous savons qu’il a 42 ans, se qualifie d’humaniste, vote démocrate et apprécie le disco et la New Wave.
L’affaire est tout ŕ la fois comique et sérieuse. Autant on parle réguličrement des passagers dits indisciplinés, autant la routine quotidienne de l’aviation commerciale ne suscite qu’indifférence. Pourtant, nombreux sont les passagers aériens qui ignorent les rčgles de politesse les plus élémentaires. Tout comme ils refusent d’accorder un minimum d’attention aux consignes de sécurité, éprouvent toutes les peines du monde ŕ couper leur téléphone portable, le rallument trop vite ŕ l’arrivée, poussent volontiers sur la boisson et, de maničre plus générale, se comportent de maničre parfaitement antipathique.
Bien sűr, il serait vain de s’en étonner, encore moins de le regretter. A l’époque oů United Airlines a Ťinventéť la profession d’hôtesse de l’air, le voyage aérien était une aventure élitiste en męme temps qu’une affaire de pionniers. Depuis la fuite en avant entamée dans le seconde moitié des années cinquante, accélérée ŕ partir de 1970 par l’apparition des gros porteurs, l’aviation est devenue un transport de masse. Il s’est banalisé, standardisé, encanaillé. Et la suite fait peur : 2,3 milliards de passagers aériens ont été comptabilisés en 2009 et, d’aprčs l’IATA, ils seront 15 ou 16 milliards en 2050.
A ce moment-lŕ, Steven Slater, vieil homme retraité, aura retrouvé l’anonymat depuis bien longtemps. A une nuance prčs : nos successeurs continueront ŕ conter son petit exploit en passant devant sa statue. Une plaque en cuivre ou une inscription dans le marbre blanc dira sans doute : ŤRemembering Steven Slater, the world flight attendants’ hero ť. Et, de temps ŕ autre, une hôtesse ou un stew profitera d’un stop-over ŕ New York pour déposer une fleur au pied du monument.
Pierre Sparaco - AeroMorning