Souvenir de journaliste (11), pendant un mois, des journalistes de l'agglomération lyonnaise racontent sur LibéLyon un souvenir professionnel qui les a marqués. Aujourd'hui, Nicole Guillard, grand reporter au bureau de Lyon de France Inter et de France Info :
C’était le premier procès des affaires. C’était au printemps de 1995. Il inaugurait une ère qui, hélas, est loin d’être révolue ; les suites actuelles se chargent de nous le rappeler ! Se retrouvaient devant les juges du tribunal correctionnel, Pierre Botton, l’homme d’affaires lyonnais dont les parents avaient fait fortune dans l’agencement des pharmacies, Michel Noir, le Maire de Lyon, Michel Mouillot, celui de Cannes, un journaliste vedette, PPDA et cinq dirigeants d’entreprise. Tous unis dans la même confusion des genres, tous se tenant par la barbichette, dans ce ballet éhonté de l'argent et du pouvoir.
L’homme d’affaire était accusé d’avoir littéralement pillé ses seize sociétés, pour mieux courtiser les « grands de ce monde », qui le faisaient rêver. Eux, à commencer par son propre beau-père, se sont laissés corrompre sans ciller ; ils ont même plutôt ouvert les bras, pour recevoir cette manne ! Michel Noir, pour sa carrière politique, d’autres, pour leur seul profit, et aussi pour l’image d’eux-mêmes que leur renvoyaient ces flatteries hors de prix. Lors du procès, une scène, plus que les autres, m’a choquée : le maire de Lyon, celui-là même qui déclara un jour : « Il vaut mieux perdre les élections que perdre son âme ! », venir devant ses juges exhiber le journal intime de sa fille, pour mieux se défendre et sauver sa carrière ! C’était suffisamment parlant, déjà ! Et j’ai beaucoup balancé, entre fascination et dégoût, devant cette histoire digne d’un scénario, devant ce miroir aux alouettes que se tendent entre eux, gens d’argent et gens de pouvoir !
Aujourd’hui, je regarde avec la même incrédulité cette nouvelle saga, l’affaire Bettencourt, où derrière les déchirures familiales, se mêlent les intérêts dévorants du pouvoir et de l’argent. Je suis toujours aussi fascinée, de suivre, sans les comprendre vraiment, au fond, cette hypnotique course vers le «toujours plus», ce dévoiement total des vraies valeurs de l’existence, qui nous éclaboussent, nous aussi, quoi qu’on en pense ! L’affaire « Noir-Botton» était, finalement, bien peu de chose, par rapport à ce qui nous fut, depuis, livré en pâture : 33 millions de francs d’abus de biens sociaux, « seulement» ! Les principaux protagonistes ont été condamnés. Pierre Botton a parlé de « rédemption » après son séjour en prison. C’est vrai que lorsque j’ai eu l’occasion de parler avec lui, j’ai eu du mal à reconnaître l’homme d’affaire qui me toisait, lors d’une interview, quelques années auparavant, dans ses splendides bureaux du 3e arrondissement de Lyon : il avait rejoint le commun des mortels, perdu sa morgue et son aveuglement.
Mais cette histoire-là, qui était pourtant exemplaire, n’a servi à rien. Dans les coulisses du monde des puissants, se rejoue avec la même arrogance et le même incroyable culot, cette vilaine comédie, qui aboutira peut-être aussi, souhaitons-le, à un procès retentissant ! Même si cela ne retentit jamais très longtemps !
Nicole GUILLARD.
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