Dès le livre en main, plusieurs singularités : la
couverture et à l’ouverture, les deux citations, l’une de Bob Sheppard, et
l’autre de Vassili Grossman. L’une met l’accent sur la beauté d’un paysage et
l’autre évoque le mot figures pour
désigner les corps humains, « 100
figures, 200 figures ». La première citation se termine ainsi :
« Mais c’est devant qu’il faut
regarder. » Et puis il y a l’italique qui est utilisé dans tout le recueil,
depuis les citations jusqu’à la coda. Le titre, les mots de Sheppard, la
fermeture éclair sur le dessin nous rapprochent d’un lieu, perdu dans le
« …moutonnement des Vosges »,
le camp de concentration du Struthof, nom que je ne découvre écrit qu’après
avoir lu tous les textes, puisqu’il figure à la page 10, soit juste avant les
citations. Nom d’un lieu perdu, à retrouver, à tenter d’apercevoir. Il n’est
pas anodin que je ne l’aie pas vu.
Voir, il s’agit donc de voir. Des jardins.
il y aurait des jardins des fleurs des
papillons des murs les gestes
d’autrefois le bleu des fours des torchons épaissis de pâte les noms
La beauté et les figures. Beauté d’un paysage.
Mais Georges Guillain parle aussi une langue où la faiblesse des mots s’inscrit
contre ce qui se voit et qui cache ce qui a été là.
l’écrire
pour me souvenir
Voir, c’est aussi passer à travers le
vert/le rouge/tout le mûri/, pour ceux qui n’ont pas fait partie des figures et qui ont à mener une vie, leur vie :
une vie ordinaire sans rien
sans souvenirs immondes sans
grincements de dents
C’est de cette vie-là que part celui qui écrit devant ce paysage rempli
d’absence et devant cette couleur devenue majuscule :
oui
ROUGE
je l’écris
cherche les mots/hésite après
dans les failles
ce qu’on entend/du Rouge/ici
les lettres le détachent/un bloc dont se fissure la présence entre
les maisons bien assises sur la place qu’on traversait encore
ingénument le soir/
leur toit/ROUGE/et/
le saisissement de se voir/
là/dans le tremblement/l’effarement/
de la phrase
(…)
Alors Georges Guillain invente une ponctuation, un rythme qui parle d’un lent
retour, d’une montée vers une hauteur prête à disparaître. Tout en avançant sur
cette route,
doutant de tout
ce que pauvrement (je)il possède
il égrène des cailloux d’ombre et la page ressemble à un ciel brûlé
d’étoiles. Les figures deviennent présences et les fleurs elles-mêmes se
peuplent de mots hésitants à leur
redonner poids.
Jusqu’ à cette fin d’été qui conduit à l’automne et au froid du camp :
figure humaine au bois fendu comme les
fentes des persiennes
un mur
de bois de haches dans le froid
où pousse aussi ton corps déjà l’hiver dans la forêt qui dure
(…)
Les figures sont des corps et ce sont eux qui nourrissent la terre :
cette
misère d’eux
balayée ramassée
(…)
La CODA nous rappelle
aux couleurs, au linge, aux pommes, au pré, à ce qui bouge :
simples vols d’oiseaux surpris qui
disparaissent agitent un peu
la haie
Et le poète écrit le mot caché sous
celui de figures / morts/ et à son
tour il est compris dans le paysage :
et tant pis
si toujours la pression de la vie s’obstine s’exténue
à déformer le monde en rythmes un peu bancals
traçant à sa manière un chant dont on peut dire qu’il éclaire ce qui n’a
pas de lumière.
par Sylvie Durbec
Georges Guillain
Compris dans le paysage,
Editions Potentille, 2010- 7 €