Deux livres très différents. Les morceaux de l’image sont une suite de poèmes accompagnant des
lavis colorés de Colette Deblé, qui poursuit son travail sur la « citation
picturale » et la représentation de la femme dans l’histoire de l’art.
C’est l’aspect morcelé, incomplet, de l’image qui retient Ancet. En effet, les
lavis de Colette Deblé renvoient visiblement à des œuvres d’art antérieures
sans être aucunement des copies. La référence tremble en quelque sorte, et
demeure énigmatique. « L’espace vibre. Son ombre tremble. » (p.20) On
voit bien ici en quoi l’œuvre de Colette Deblé rejoint la poétique d’Ancet qui
se situe le plus souvent entre apparition et disparition, dans un vivre qui
n’est saisi que dans le mouvement du passage et une tension entre l’évidence et
le doute.
Dans cette suite de poèmes, Ancet construit l’ensemble par un jeu subtil de
reprises et de variations, une sorte de modulation ou de kaléidoscope. Pour
donner l’exemple d’une série : « Servante, sainte en prière, vierge à
l’enfant, / on perd un à un les morceaux de l’image. » (p.10) ;
« Servante, vierge à l’enfant, geisha, / sainte en prière, enfant, femme
endormie. » (p.14) ; « Souveraine, servante, sainte en prière, /
chanteuse, pour quelle inaudible audition ? » (p.16) ;
« Reine, geisha, sainte en prière, / maharané dans le théâtre de
buée. » (p.22) ; « Servante, soubrette, danseuse, prostituée. /
Quelle place pour elle dans le théâtre de buée ? » (p.24) ; « Reine
en gloire, vierge en prière, / déesse musicienne. » (p.30) Il y a ainsi
six ou sept séries qui s’entrecroisent, se font écho, de la même façon
qu’ « On se déplace. L’angle varie. L’image aussi. » (p.24)
Puisqu’il est ce silence est un livre
très différent, celui du deuil d’un ami. Ancet le sous-titre « prose
pour Henri Meschonnic » et donne en dernière page la période
d’écriture : « 9 avril – 26 mai 2009 ». Dès la première
séquence (le livre en comporte six, séparées par des pages blanches), c’est
tout le poids de l’absence qui est soulevé par l’anaphore « On se dit
qu’il… » . Il et non plus tu ; il, la personne de celui qui n’est pas
là. Et plus Ancet évoque la beauté d’une journée de printemps, plus il creuse
cette absence. « On se dit qu’on ne sait plus quoi se dire, qu’il y a trop
de lumière pour tant de noir. » (p.9)
Aucun pathétique dans cette évocation de l’ami, mais des souvenirs précis, et
une tension juste entre l’évidence de la disparition et l’évidence d’une
présence : « Dans l’impossible retour, dans l’impossible demain,
juste là, sur le fil du présent, il sourit, il vacille, il sourit. » (p.23)
Au fil des pages de ce qui n’est pas un récit, Ancet ne raconte pas, chaque
page est un moment en soi, mais du temps passe et si l’ami demeure, c’est sous
forme de figure. Il est passé en mémoire, ce qui revient à faire son deuil.
« On le sent glisser, reculer, se retirer. On parle pour le retenir. Le
garder un peu, là, dans ces mots qu’on a, sans trop savoir. Ils sont pleins du
soir, avec son épaisseur d’herbe, ses merles, son ciel qui tombe de partout et
fait des taches de couleur. Pleins d’autre chose aussi qu’on ne peut pas bien
dire. De cette mélancolie un peu, par exemple, qu’il aurait refusée, parce
qu’elle n’était pas la sienne, mais qu’on a dans les yeux quand on regarde le
temps arrêté sur son nom. » (p.44)
Beau livre de présence-absence, qui ne prend jamais l’allure d’un hommage au
savant Meschonnic : Ancet évoque le poète et l’ami dont le rire demeure.
par Antoine Emaz
Jacques Ancet
Les morceaux de l’image, avec des
lavis de Colette Deblé
Revue Ficelle, n°95, Mars-Avril 2010, 38 pages, 7 €
Puisqu’il est ce silence,
Ed. Lettres Vives Col. Terre de poésie, 64 pages, 12 €
On peut lire aussi, dans Poezibao,
sur ces deux mêmes livres, une
note de lecture de Yann Miralles.