Les temps ont bien changé. Dans les années 1820, les Maths étaient une sorte d’option qu’on prenait en seconde selon son bon vouloir et ses dispositions, la meilleure part de l’enseignement étant réservée à l’étude du français, du latin et du grec. Galois, donc, s’inscrit en Mathématiques préparatoires, tout en redoublant sa seconde, contre son gré, on l'a vu. S’il n’a pas trop de mal à obtenir des bons résultats en Maths, sans vraiment se fatiguer (son professeur, Verdier, l’agace prodigieusement, il faut dire), il néglige à peu près toutes les matières principales, à la fureur de ses professeurs. Histoire de se payer leur tête, ce taquin se met à travailler à quinze jours de la fin de l’année seulement et rafle quelques prix de fin d'année les doigts dans le nez. Ses appréciations scolaires, quand on connaît la suite, prennent le plus haut sens comique.
- Devoirs religieux : Bien
- Conduite : Passable
- Travail : Inconstant
- Disposition : Heureuses
- Progrès : Peu satisfaisants
- Caractère : Caché et original
L’année suivante, il entre en Rhétorique et continue à désespérer ses professeurs. Un certain M. Desforges se plaint ainsi sur son bulletin de note du 2e trimestre : «Dissipé, causeur. A, je crois, pris à tâche de me fatiguer, et serait d’un fort mauvais exemple s’il avait quelque influence sur ses camarades.» L‘année suivante, le même Desforges continue de couiner : «Paraît affecter de faire autre chose que ce qu’il faudrait faire. C’est dans cette intention sans doute qu’il bavarde souvent. Il proteste contre le silence.». Côté leçon, il ne faut pas le chercher: il les sait bien, tant mieux, il ne les sait pas, c’est comme ça. Les devoirs sont aussi classés en deux tas : ceux qui l’intéressent, et qu’il soigne, et ceux qui ne l’intéressent pas, qu’il affecte de ne pas terminer ou de bâcler avec effronterie. «La fureur des mathématiques le domine, note, un brin agacé, son directeur d’étude. (…). Il vaudrait mieux que ses parents consentent à ce qu’il ne s’occupe que de cette étude. Il perd son temps et ne fait que tourmenter ses maîtres et se faire accabler de punitions.» Même son prof de Maths finit par perdre patience, et ne lui accorde qu’un modeste 7e accessit.
Galois s’en moque comme de son premier taille-crayon : lui qui n’est encore qu’en classe préparatoire, il se présente sans hésiter au concours d’entrée à Polytechnique. Mais il échoue et il prend assez mal la chose. En 1828, il saute carrément la classe de Mathématiques élémentaires et rentre en Mathématiques spéciales. Il tombe enfin sur un prof à sa mesure, M. Richard, homme patient, généreux et attentif aux dernières évolutions de la science. Tout le contraire des vieux jetons que Galois a supporté et poursuivi de ses sarcasmes jusqu’ici. «Cet élève a une supériorité marqué sur tous ses condisciples – il ne travaille qu’aux parties supérieures des Mathématiques».
A l’époque, en effet, c’est un désert technique. Je le rappelle pour ceux qui croient que seul l’homme de Cro-Magnon n’avait pas d’Iphone. On avait du papier, de l’encre et une plume d’oie, son jus de crâne et basta. Pour les chanceux publiés en imprimerie, la presse à bras, sortant son exemplaire baveux à la minute. Photo ? Même pas en rêve ! Photocopie ? Oublie ! Fichier ? Des clous ! Internet ? Que dalle ! Pdf ? Mon cul !
(A suivre)
Lire les autres épisodes :
- Le roman de Galois (1)
- Le roman de Galois (3) : à paraître