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Le roman de Galois (2)

Publié le 12 août 2010 par Doespirito @Doespirito
Résumé du chapitre précédent. Entré au Lycée Louis-Le-Grand, Evariste Galois commence à donner des signes de fatigue scolaire...
Les temps ont bien changé
. Dans les années 1820, les Maths étaient une sorte d’option qu’on prenait en seconde selon son bon vouloir et ses dispositions, la meilleure part de l’enseignement étant réservée à l’étude du français, du latin et du grec. Galois, donc, s’inscrit en Mathématiques préparatoires, tout en redoublant sa seconde, contre son gré, on l'a vu. S’il n’a pas trop de mal à obtenir des bons résultats en Maths, sans vraiment se fatiguer (son professeur, Verdier, l’agace prodigieusement, il faut dire), il néglige à peu près toutes les matières principales, à la fureur de ses professeurs. Histoire de se payer leur tête, ce taquin se met à travailler à quinze jours de la fin de l’année seulement et rafle quelques prix de fin d'année les doigts dans le nez. Ses appréciations scolaires, quand on connaît la suite, prennent le plus haut sens comique.
- Devoirs religieux : Bien
- Conduite : Passable
- Travail : Inconstant
- Disposition : Heureuses
- Progrès : Peu satisfaisants
- Caractère : Caché et original
Legendre Il faut dire qu’il est tombé entre temps sur un livre qui va littéralement le chambouler (on est en 1826). Certains se sont pâmés à l’adolescence sur L’attrape-cœur, de Salinger. D’autres ont pleurniché sur L’écume des jours, de Boris Vian, plus récemment sur Harry Potter ou les chevaliers d’Emeraude. Lui, il découvre et dévore d’une seule traite «Eléments de géométrie» de Legendre. Un best-seller pour son époque qui a connu quand même 15 éditions du vivant de l’auteur. A la différence des ouvrages de mathématiques emphatiques et lourdingues du moment, celui-là présente des énoncés brefs et concrets avec des définitions en nombre très réduit. C’est cette concision qui enthousiasme Galois. Surtout, d’un seul coup, il enregistre et grave définitivement dans sa mémoire la longue série de théorèmes qu’il découvre. «D’un coup d’aile, souligne Paul Dupuy, son biographe [son intelligence] quitta les plaines pour s’élever tout de suite au sommet.»
Dupuy En dehors de ça, il ne faut pas venir le saouler avec du futile, du médiocre, de l’accessoire, encore moins avec les petites histoires minables qui forment le quotidien du collégien boutonneux de son temps. Comme le raconte Paul  Dupuy (ci-contre), «il s’enfonce de jour en jour dans ses méditations solitaires, et n’en sort que par de brusques détentes, où maîtres et camarades doivent pâtir de son humeur et surtout de l’opinion très haute et très juste qu’il s’est formée de lui-même.» A la fin de l’année, s’il emporte un simple 2e accessit dans sa propre classe, il enlève dans la foulée le prix au Concours Général, concours autrement plus trapu car national. Ce qui dénote un sacré sens de l’humour.
L’année suivante, il entre en Rhétorique et continue à désespérer ses professeurs. Un certain M. Desforges se plaint ainsi sur son bulletin de note du 2e trimestre : «Dissipé, causeur. A, je crois, pris à tâche de me fatiguer, et serait d’un fort mauvais exemple s’il avait quelque influence sur ses camarades.» L‘année suivante, le même Desforges continue de couiner : «Paraît affecter de faire autre chose que ce qu’il faudrait faire. C’est dans cette intention sans doute qu’il bavarde souvent. Il proteste contre le silence.». Côté leçon, il ne faut pas le chercher: il les sait bien, tant mieux, il ne les sait pas, c’est comme ça. Les devoirs sont aussi classés en deux tas : ceux qui l’intéressent, et qu’il soigne, et ceux qui ne l’intéressent pas, qu’il affecte de ne pas terminer ou de bâcler avec effronterie. «La fureur des mathématiques le domine, note, un brin agacé, son directeur d’étude. (…). Il vaudrait mieux que ses parents consentent  à ce qu’il ne s’occupe que de cette étude. Il perd son temps et ne fait que tourmenter ses maîtres et se faire accabler de punitions.» Même son prof de Maths finit par perdre patience, et ne lui accorde qu’un modeste 7e accessit.
Galois s’en moque comme de son premier taille-crayon : lui qui n’est encore qu’en classe préparatoire, il se présente sans hésiter au concours d’entrée à Polytechnique. Mais il échoue et il prend assez mal la chose. En 1828, il saute carrément la classe de Mathématiques élémentaires et rentre en Mathématiques spéciales. Il tombe enfin sur un prof à sa mesure, M. Richard, homme patient, généreux et attentif aux dernières évolutions de la science. Tout le contraire des vieux jetons que Galois a supporté et poursuivi de ses sarcasmes jusqu’ici. «Cet élève a une supériorité marqué sur tous ses condisciples – il ne travaille qu’aux parties supérieures des Mathématiques».
Institut_HP007113_-_copie350-0a333 Galois a 17 ans, et, le 1er mars 1829, poussé par son professeur, il publie son premier Mémoire : «Démonstration d’un théorème sur les fractions continues» dans la revue Les annales de Gergonne. Tant qu'il y est, il rédige sa première communication à la prestigieuse Académie des Sciences. Le processus voulait que le mémoire soit étudié par un grand spécialiste, qui en jugeait de l’intérêt avant de le présenter en séance à ses collègues. C’est à Cauchy, le plus grand spécialiste du sujet de son temps, que revient cette tâche. Ce mathématicien hors pair n’est pas un spécialiste du rangement : il égare le mémoire (certaines disent qu’il a préféré ne pas le présenter, le réservant pour une autre occasion). Il faut s'imaginer à la fois la déception de Galois, sa détresse de ne pas savoir ce qui est advenu de son manuscrit, et son désarroi devant tout ce travail gâché.
A l’époque, en effet, c’est un désert technique. Je le rappelle pour ceux qui croient que seul l’homme de Cro-Magnon n’avait pas d’Iphone. On avait du papier, de l’encre et une plume d’oie, son jus de crâne et basta. Pour les chanceux publiés en imprimerie, la presse à bras, sortant son exemplaire baveux à la minute. Photo ? Même pas en rêve ! Photocopie ? Oublie ! Fichier ? Des clous ! Internet ? Que dalle ! Pdf ? Mon cul !

CauchyEn attendant de se repalucher le travail perdu à jamais par la faute de l’incurie de ce grand bordélique de Cauchy (ci-contre), il lui faut se fader deux autres matières qui ont le don de lui mettre les nerfs en pelote : la physique et la chimie. Le professeur de référence, M. Thillaye, ne se fatigue pas et recopie d’un trimestre à l’autre des appréciations désespérantes : «Fort distrait, travail nul». Heureusement, M. Richard soutient à fond son élève surdoué. Des années plus tard, il lisait encore avec ravissement les brillantes démonstrations de Galois devant les anciens élèves. Quant à Evariste Galois, au milieu de cette année 1829, il va connaître deux nouveaux événements marquants qui vont sacrément secouer son esprit.
(A suivre)

Lire les autres épisodes :
- Le roman de Galois (1)
- Le roman de Galois (3) : à paraître


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