Il n’est pas si fréquent de voir de petites villes s’engager dans une démarche de promotion de l’art contemporain, appréhendé dans toute sa diversité. Tel est pourtant le cas de Thouars (labellisée « ville d’art et d’histoire », située à 35 km de Saumur) qui, chaque année, ouvre l’un de ses monuments – la chapelle Jeanne d’Arc – à un artiste, à charge pour ce dernier d’investir le lieu. Krijn de Koning, en 2004 et Kees Visser, en 2006, y avaient notamment accompli de remarquables installations. Cette année, Thouars accueille Stéphane Calais dont l’œuvre, reconnue et protéiforme (puisqu’elle touche l’ensemble des disciplines plastiques à l’exception de la vidéo) mérite que l’on s’y arrête. L’originalité de cet événement culturel estival réside dans le défi lancé à l’artiste invité. En effet, ce bâtiment néo-gothique construit à la fin du XIXe siècle et déconsacré depuis ne sert pas de simple salle d’exposition ; il constitue dans son intégralité le thème autour duquel le créateur élabore son projet.
Stéphane Calais est habitué à se confronter à l’architecture monumentale. Toutefois, l’expérience de Thouars demeure assez exceptionnelle, dans la mesure où son installation temporaire porte sur l’habillage entier de l’intérieur de la chapelle. Sa démarche ne s’apparente pas à celle, bien connue, de Christo qui, le plus souvent, emballe – donc dissimule – le monument auquel il s’attaque. Ici, le lieu est devenu un atelier ou l’artiste a fait le pari de recouvrir partiellement les murs et les vitraux de lais de moquette (de ces moquettes fines et à usage unique utilisées pour les salons professionnels), lesquels servent de support à l’exécution de peintures abstraites qui expliquent le titre de l’exposition : Plié, strié, barré (jusqu’au 17 octobre 2010). Ce principe de tentures murales, quoique résolument contemporain, n’est pas sans rappeler celui qui avait cours dans l’Europe médiévale ou en Orient.
De façon arbitraire, Stéphane Calais a choisi de composer une œuvre monochrome : peinture noire sur support blanc. Ce qui ne signifie pas l’absence de couleurs, car celles-ci émanent du bâtiment-même ; elles apparaissent tout au long de la journée, par un jeu subtil de transparences qui permet la projection des vitraux, en fonction des rayons du soleil, sur la moquette et les larges panneaux de bois peints posés au sol et inclinés de manière à en plaquer quelques bandes sur les murs.
Ce dispositif repose donc sur une véritable pensée, un travail approfondi de recherche, une expérimentation des relations de la matière et de la lumière allant jusqu’à l’anamorphose questionnant notre perception du réel. Voilà qui prouve que l’abstraction n’a finalement pas dit son dernier mot, en dépit de ce qu’avancent les esprits chagrins depuis quelques années. Et si l’artiste a dialogué avec l’espace qui lui était confié au moment où il a réalisé son installation, ce dialogue se poursuit avec les visiteurs, en fonction des heures de la journée, par une réinterprétation constante de l’œuvre qu’imposent les rayons filtrés de lumière. Car il s’agit bien là de réinterprétation, de recomposition, non de détournement de lieu. La confrontation entre la rigidité de l’architecture néo-gothique et la souplesse presque baroque du support prend alors tout son sens.
Idéalement, il faudrait d’ailleurs visiter deux fois ce site, de jour et de nuit. Car l’absence de lumière autre que les éclairages intérieurs produit un étrange contraste : privée de tout effet de transparence, l’installation se présente comme une seconde peau apposée sur la pierre d’origine, peau tour à tour rectiligne ou puisant sa souplesse dans les courbes et les rondeurs des drapés. L’impression de « peinture tridimensionnelle », voire de seconde architecture, s’en trouve alors renforcée.
La dimension abstraite du graphisme ménage enfin des effets de matière qui contribuent à donner toute sa force à la composition picturale. Pour ce faire, l’artiste a eu recours à de multiples méthodes : projection, pinceaux, couteau, brosses, serpillères, mains nues. Cela fait naturellement penser aux techniques de dripping et de pouring chères à l’Action painting de Jackson Pollock, qui permettent d’obtenir une large variété de textures. Ici, la pâte dense, d’un noir intense, et les coulures, voisinent avec des effets de dilution qui se déclinent dans un camaïeu de gris. Le dessin, que Stéphane Calais considère comme la base de tous ses travaux, reste omniprésent. Certains panneaux offrent une surabondance de motifs, tandis que d’autres demeurent très synthétiques. Dans tous les cas, cependant, l’abstraction fait la part belle à l’ampleur du geste, dans une forme de lyrisme à peine contenu.
Pour tenter de définir les « formes, lignes, traits et ombres » qu’affronte ici le visiteur, des mots d’Antonin Artaud viennent en mémoire – Artaud dont on peut présumer qu’il visita la chapelle Jeanne d’Arc, puisqu’il séjourna à Thouars en août 1931 – lorsqu’il écrivait au sujet de ses propres graphismes, dans l’un de ses cahiers daté de 1947, qu’ils étaient « une vitupération corporelle contre les obligations de la forme spatiale, de la perspective, de la mesure, de l’équilibre, de la dimension ».
Après avoir découvert cette installation, chacun pourra en outre se rendre au musée Henri Barré (labellisé «musée de France»), situé à quelques jets de pierre de la chapelle Jeanne d’Arc. Une occasion de voir, dans cette maison néogothique qui abrite un intéressant cabinet de curiosités, trois petites toiles ovales de Stéphane Calais, provenant de son fonds personnel, qui donneront un aperçu de la diversité créatrice de l’artiste.
Illustrations : Chapelle Jeanne d’Arc - Installation de Stéphane Calais, photos © Rim Savatier.