Ce film raconte comment un coréen moyen, bien sous tous rapports, se voit peu à peu réduit à l’état de bête. « Comment ? » reste une question sans importance : quiconque a subi des violences psychologiques en trouvera la réponse assez vite ; « pourquoi ? » est en fait le véritable moteur de cette histoire : hélas pour son personnage principal – qui ne mérite pas vraiment le qualificatif de « héros », sauf au sens strictement technique du terme – cette interrogation sera l’occasion de plonger encore plus profond dans la gueule de l’enfer.
Il y a des questions qu’il vaut mieux ne pas poser, voyez-vous. De même, il y a des scènes auxquelles il vaut mieux ne pas assister car on pourrait en parler autour de soi – en toute innocence, certes, mais sans pour autant qu’une telle indiscrétion reste inconséquente. Le pire, c’est qu’on est souvent le dernier informé des tragédies qu’on a provoqué : certains mots blessent, d’autres tuent… mais dans tous les cas ils font leur chemin à pas lents, à tel point d’ailleurs qu’on a souvent quitté le lieu du crime depuis longtemps quand celui-ci a lieu. Alors on en entend parler, d’une oreille distraite car toujours moins habile que la langue, et on oublie. Sans avoir la moindre idée du mal qu’on a provoqué.
Hélas pour Oh Dae-Su, le mal qu’il a semé a laissé un survivant, et celui-ci ne l’a pas oublié. Bien au contraire : sous bien des aspects, il lui a même consacré sa vie. Ou plutôt sa mort : dans les deux cas, ça revient au même ; vraisemblablement plus que dérangée, sa victime a – semble-t-il – tenu à lui faire partager sa folie, d’où les épreuves que subit Oh Dae-Su dans sa quête de la réponse à la question qu’il ne fallait surtout pas poser… Pour autant, personne n’aurait pu passer à côté de cette question-là, du moins personne qui a vécu ce par quoi est passé Oh Dae-Su pendant 15 ans – ce qui fait une différence conséquente.
Réalisé de main de maître, Old Boy ne vous laissera pas indifférent : mené tambour battant dans un crescendo de violences d’abord physiques puis psychologiques, cette spirale de fureur et de fièvre prend littéralement à la gorge et resserre toujours plus son étreinte jusqu’à un final éblouissant qui n’a rien, mais alors rien d’une libération – bien au contraire. Instantané d’un quotidien urbain et contemporain où les valeurs morales comme humaines sont abolies depuis longtemps, ce film nous renvoie à nous-mêmes, à nos indifférences et à nos crasses dont seul un mince voile d’apparence – et d’amnésie – nous sépare…
Pourtant, au-delà du choc des émotions et des images, comme sous-jacents à toutes ces tripes charcutées et ces raisons éviscérées, une mélopée lancinante, une sorte de poésie, de lyrisme enfiévré se dégage, qui nous cueille au vol comme une ultime planche de salut, un dernier sursis, un espoir peut-être : tout au fond de la fange putride de nos péchés, c’est la seule chose qu’il nous reste.
Récompenses :
- British Independent Film Awards : Meilleur Film Étranger en 2004
- Cannes 2004 : Sélection Officielle et Grand Prix
- Festival du Film de Stockholm : Audience Award en 2004
- Festival international du Film de Catalogne : Meilleur Film en 2004
- Grand Bell Awards : Meilleur Acteur (Choi Min-Shik), Meilleur Réalisateur, Meilleur Montage (Kim Sang-Beom), Meilleur Éclairage et Meilleure Musique en 2004
- Hong Kong Film Awards : Meilleur Film Asiatique en 2005
Note :
Ce film est une adaptation du manga éponyme de Garon Tsuchiya et Nobuaki Minegishi, paru au Japon chez Futabasha et publié en France chez Kabuto.
Old Boy, Park Chan-Wook, 2003
Wild Side Films, 2006
119 minutes, env. 10 €