« La mort ne survient pas dans un lieu, quel qu’il
soit. Elle ôte le lieu, comme elle ôte le temps », ainsi s’exprime Roger
Munier dans L’Aube, le dernier livre
paru de son vivant. Car Roger Munier nous a quittés le 10 août 2010, laissant
un livre à paraître dont il a corrigé les épreuves, Esquisse du paradis, ainsi qu’un manuscrit achevé au début de
l’été. Parfaitement lucide sur son état de santé, il méditait quotidiennement
sur la mort au point que ses lecteurs et amis n’auront pu rester indifférents à
ce vieillard qu’il évoquait au début de L’Aube : « Comme un voyageur harassé, le vieillard avance dans
la plaine au ciel gris d’orage, avec le sentiment de pouvoir être à tout moment
foudroyé ». Il sentait que l’heure où le lieu et le temps lui seraient ôtés
était proche et attendait sereinement, poursuivant sa réflexion et son
écriture, cet instant, ce seuil. Sereinement mais dans la souffrance quotidienne
que lui imposait la maladie, contre laquelle il luttait dans la plus grande
dignité.
Il nous laisse une œuvre immense commencée en 1947 par un article sur Claudel,
laquelle s’est poursuivie par la traduction de différents textes de Heidegger,
dont la Lettre sur l’humanisme, par
celle de livres d’Octavio Paz et de Roberto Juarroz, puis par une œuvre personnelle
qui, à partir de Contre l’image en
1967 et du Seul en 1970, lui a permis
d’exprimer une voix unique et reconnaissable dans une relation permanente à la
pensée philosophique, à la mystique rhénane et à l’expérience poétique. Tenant
des carnets depuis 1960, il nous laisse non seulement les cinq volumes de l’Opus incertum parus chez différents
éditeurs, dont Gallimard, mais des centaines de pages inédites soigneusement
relues. Expérience de la présence et de l’absence, son écriture était sa
relation au monde et au rien, à ce rien dont il parlait sans cesse, déité
néante à laquelle il aspirait tout en la redoutant. Dans Pour
un psaume, il nous quitte sur ces mots : « Il ne faut désirer,
après la mort, que le Néant. Dieu – ou non – s’y révèlera. Dans le ‘non’, Dieu
s’y donnera ». Telle était sa profonde conviction.
Chantal Colomb-Guillaume
12 août 2010
Les livres cités sont L'Aube, Paris, éditions Rehauts, 2010 et Esquisse du Paradis, à paraître chez Arfuyen
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