Alix, Le fleuve de jade

Publié le 04 août 2010 par Argoul

Un envoyé du sud propose à Cléopâtre de marier Enak, prince de Menkharâ, avec la sœur du prince Djerkao afin d’unir les terres de Menkharâ à celles de Méroé. La reine d’Egypte rigole mais, devant une caisse d’or, se dit que ce n’est pas idiot. Telle est l’impression que se font les jeunes de la politique : opportunisme et cynisme, aucune amitié dans les intérêts supérieurs l’Etat ou de l’argent.

Voilà donc Enak invité en Egypte avec « son mentor, en quelque sorte » Alix. L’expression est du prince Djerkao qui cherche à traduire les relations modernes des deux jeunes gens. C’est par la réaction de Cléopâtre, en première page, que l’on apprend qu’Enak a « à peine 14 ans ». Depuis que Jacques Martin s’est retiré du dessin, pour cause de maladie des yeux, puis de décès, les âges d’Enak et d’Alix restent éternellement figés à leur époque 14-18.

Enak réagit donc en gamin à la proposition de mariage, il manque de s’en étrangler. Puis il cherche à s’enfuir, s’exclame devant le portrait à l’égyptienne de sa fiancée « mais c’est une vieille, elle a au moins 20 ans ! ». Mis devant le fait accompli – qui porte une robe seins nus – il révise son jugement et la trouve « plus… plus jeune… ». Désirable ? Pas encore, mais… En tout cas il ne veut « pas se marier à cette fille ! », il veut « retourner à Rome ». Heureusement, la princesse Markha ne veut pas se marier non plus avec lui. Elle incline secrètement vers Alix aux cheveux d’or, « fils de Râ » le soleil. D’ailleurs, son frère ne serait pas contre, dans un second temps après la réunion des domaines, pour s’attirer les bonnes grâces de César dont Alix est proche. C’est de la politique – les sentiments humains n’ont vraiment aucune place.

La fuite va régler la question. Alix et Enak adorent être tous les deux, vivre en robinsons, survivant de leur industrie et de leur astuce, en butte au monde adulte dépourvu de tout sentiment. La bulle fusionnelle de l’amour-amitié contre la jungle adulte hostile. Markha les aide à fuir vers le sud et le pays des nègres ; elle les accompagne. Ils font d’étranges rencontres, aidés par les buffles et les chimpanzés. Mais cela se termine mal pour Markha qui ne pouvait décemment survivre à l’indépendance exigée des garçons. Ceux-ci sont pris comme esclaves par une caravane arabe pour être vendus sur le marché d’Alexandrie, où Cléopâtre les délivre. Elle les choie et fait mettre à mort le marchand. La politique, finalement, a du bon : elle supplante l’économie – et l’Etat les mœurs de pillards arabes.

 

L’histoire est captivante, distillée en feuilleton hebdomadaire, ce qui entretient le suspense à chaque fin de page double. Cléopâtre baise d’ailleurs Alix après l’avoir baigné, thème récurrent des aventures.

 

Mais le dessin est toujours aussi partagé. Autant les paysages, les animaux et les bâtiments sont dessinés avec minutie et précision, autant les humains sont maladroits. Surtout les corps adolescents et les visages. Microcéphales, dégingandés, les traits à la serpe, les deux éphèbes sont dessinés comme au moyen âge : des adultes en réduction. Les muscles de camionneur d’un gamin de 14 ans au bain ne sont ni gracieux ni réalistes. Les barboteuses des garçons dépouillés sont stupides Pourquoi donc Morales est-il si malhabile ? Les personnages sont ce qu’il y a de plus important dans une bande dessinée, pour l’identification des lecteurs. Il est dommage que Jacques Martin ait confié les clés de ses héros à un tel apprenti.

Jacques Martin, Le fleuve de jade, dessins de Rafael Morales, 2003, Casterman 48 pages, 9.51€