Tamiki Hara, écrivain japonais, est né à Hiroshima quarante ans avant la bombe. Il était présent dans la ville, base militaire importante, au moment où la première bombe A est tombée dans l’histoire sur une population civile et militaire mêlée. Sa famille dirigeait une usine qui produit des uniformes pour l’armée. Il a survécu. Il écrit ici trois nouvelles en forme d’hommages – de fleurs – aux victimes d’Hiroshima. Avant, pendant, après la première bombe A. Tamiki Hara est sorti de la vie en se jetant sous un train en 1951.
Son premier texte est le plus long, abordant lentement par le souvenir ce que fut la vie d’Hiroshima avant la bombe. Les écoliers sont évacués dans la campagne, en bandes organisées sous l’égide de leurs maîtres. Collégiens et collégiennes sont mobilisés pour la patrie. Ils travaillent en usines, dont celle de la famille de l’auteur. Il entendra les cris de détresse des garçons piégés dans les bâtiments écroulés, le 6 août 1945, avant que l’incendie ravageur ne les fasse taire. Avant le bombardement, les alertes sont nombreuses. Des avions passent en hordes au-dessus de la ville, mais gardent leurs bombes pour Tokyo, au nord-est. Les gens ne savent pas trop s’ils doivent évacuer ou rester. Les enfants sont exilés, mais c’est un mouvement collectif ; les familles restent, prises par le travail et ce « patriotisme » qui est surtout le sens des convenances : faire comme tout le monde. Il y a longtemps que la guerre de conquêtes n’est plus populaire dans le peuple japonais.
Le second texte est centré sur l’événement. « J’eus la vie sauve parce que j’étais aux cabinets », écrit sobrement l’auteur. Il s’installe sur le trône, ôtant son kimono de nuit sous lequel il est nu. « Quelques secondes plus tard, je ne sais plus exactement, il y eut un grand coup au-dessus de moi et un voile noir tomba devant mes yeux. Instinctivement, je me mis à hurler et, prenant ma tête entre mes mains, je me levai. Je n’y voyais plus rien et n’avais conscience que du bruit : c’était comme si quelque chose comme une tornade s’était abattue sur nous. » Caché, lui n’a pas été brûlé par l’éclair. Solide, la maison construite par son père l’a protégé du choc initial. Avisé, il a eu le temps de fuir le souffle de retour et l’incendie général qui s’est ensuivi. Tous les autres n’ont pas eu cette chance, surpris sur le chemin ou ensevelis sous les décombres avant d’être cramés sans merci. Il sera irradié, mais moins que certains ; il s’en sortira, bien qu’atteint dans sa chair et dans son âme.
Car le pire – si l’on peut dire – réside moins dans les destructions immédiates de la bombe que dans les séquelles qu’elle entraîne sur des dizaines d’années. Un bombardement est un bombardement, mais l’irradiation initiale ou celle des pluies noires qui suivent, ou celle encore des aliments contaminés durant des saisons, vont atteindre les gens bien après le choc. Dire qu’ils sont « innocents » est faire bon marché de la mobilisation totale (totalitaire) du fascisme de ces années là, aussi bien au Japon qu’en Allemagne ou ailleurs. Il n’y a pas de gens innocents s’ils laissent faire la politique et gardent leur adhésion à des nationalistes extrémistes.
Reste la plainte humaine qui déchire, quoi qu’on en ait. Il suffit d’aller à Hiroshima ou à Nagasaki aujourd’hui (l’auteur de ce blog l’a fait). Il suffit de visiter les musées de la bombe où les Japonais se présentent moins comme victimes que comme des condamnés d’un destin aveugle. Ils ont raison, il suffit de lire Tamiki Hara. Tout cela pour compatir. Rien n’excuse jamais la destruction aveugle, la mort industrielle, la technique devenue folle.
Jamais la bombe, A ou H, n’a été utilisée depuis Nagasaki le 9 août 1945. Souhaitons que cela perdure, malgré les fanatiques de tous bords, et notamment des religions sectaires.
Tamiki Hara, Hiroshima fleurs d’été, 1947, Babel 2007, 131 pages, 6.17€