La couverture de Marianne, sur «Sarkozy, voyou de la République», n'en finit pas de heurter les bonnes âmes de Sarkofrance. Il a réveillé quelques ténors de l'UMP, et cassé, pour quelques jours, la polémique sécuritaire lancée par Nicolas Sarkozy le 30 juillet dernier à Grenoble. L'UMP cherchait la confrontation avec l'opposition, un piège que le Parti Socialiste tente d'éviter. Et voici qu'elle l'obtient, mais pas sur le terrain choisi. Le chef suprême se voit comparé à un petit caïd de banlieue. Cruel outrage ! Dans ce concert de déclarations farfelues, une autre voix a tenté de se faire entendre: une ancienne Garde des Sceaux s'est rappelé à notre bon souvenir.
Voyou contre voyou
L'argument de Marianne, rappelons-le, était simplissime: Sarkozy est prêt à tous les retournements, toutes les propositions, toutes les actions pourvu qu'il reste au pouvoir. Un point commun avec ces caïds de banlieue qu'il aime tant fustiger. Sans foi, ni loi autre que la sienne. Indulgent avec les puissants, sans merci (en paroles tout du moins) avec les faibles, Sarkozy semble pris à son propre piège.
Lundi dernier, Nadine Morano avait déclaré :«c'est antirépublicain et on ne peut pas véhiculer des valeurs antirépublicaines en utilisant le nom de Marianne. Les journalistes de Marianne sont en train de salir un des symboles de la République.» Puis voici Patrick Ollier, député UMp et compagnon de la Garde des Sceaux Michèle Alliot-Marie, considère que Marianne «dépasse aujourd'hui ce que peut autoriser la liberté de la presse en France», n'hésitant pas, ensuite, à qualifier Jean-François Kahn de «voyou de la presse.» Lionnel Luca, le député UMP des Alpes Maritimes n'avait pas hésité à écrire: «Il est paradoxal de dénoncer les dérives vichystes en utilisant les méthodes de la presse d'extrême droite d'avant-guerre.»
Comme dit la maxime, on a l'impression que l'hôpital se fout de la charité. Il y a 8 jours, Frédéric Lefebvre expliquait que l'immigration est un problème majeur en France. Christian Estrosi ajoutait: «François ou voyou, il faut choisir», comme si les nationaux étaient exempts de délinquance. Sans parler des propos du président de Sarkofrance eux-même, sans rapport avec la réalité ni la morale.
Mardi, Yannick Biancheri, secrétaire départemental adjoint du syndicat Unité SGP Police, rappelait tout ce monde à l'évidence: à Grenoble, «nous avons payé immédiatement la facture de la RGPP». Il a fallu l'explosion de violences fin juillet pour le ministère débloque des moyens: «surtout ce n'est qu'avec plus de personnel qu'on pourra ramener dans les cités le respect de la police : il faut assurer une présence permanente pour que l'on nous connaisse autrement que quand ça va mal.» Ce responsable syndical de la police va plus loin dans sa critique : «les déclarations de Brice Hortefeux à Grenoble avalisent l’idée de "milices" privées. La France va finir par ressembler aux Etats-Unis avec un service de renseignement important, une espèce de FBI et une police municipale qui devra faire avec les moyens qui restent. A cela vont s’ajouter les sociétés privées qui seront employées par l’Etat.»
Dati parle encore, et se plante toujours...
Rachida Dati ne lâche rien. Echaudée par les accusations de Pierre Charon, conseiller de Nicolas Sarkozy, d'avoir propagée la rumeur d'adultère au sein du couple présidentiel au printemps dernier, l'ex-Garde des Sceaux parvient à s'immiscer dans l'actualité: alors qu'elle se repose chez sa famille au Maroc, elle s'est faite interrogée par Europe1 mardi 11 août sur les récentes déclarations sécuritaires du chef de Sarkofrance. Comme toujours indulgente avec son ancien patron, elle aime toujours égratigner Brice Hortefeux, le ramenant au rang de simple exécutant sans initiative personnelle: « Il est important que le ministre de l'Intérieur soit parmi les Français et aux côtés des victimes . Le président de la République lui a demandé et là, il est de plus en plus sur le terrain.»Et la voici qui insiste sur le besoin de prévention : « Il y a une loi sur la prévention de la délinquance adoptée quand Nicolas Sarkozy était ministre de l'Intérieur. Je regrette que cette loi soit peu ou pas appliquée. » Pour un peu, on oublierait qu'elle a été conseiller de Sarkozy au ministère de l'intérieur puis garde des Sceaux pendant 2 ans. De quelle loi donc parle-t-elle ? Le 5 mars 2007, un mois avant le premier tour de l'élection présidentielle, la loi n°2007-297 était adoptée, afin de traiter des points suivants, tel que présenté dans le court texte introductif au parlement: «le repérage et le soutien des familles fragiles, les impératifs de sécurité en matière d'habitat et d'urbanisme, la prise en charge des personnes présentant des troubles mentaux dangereux et les moyens de punir et de soigner les usagers de drogues. »
Rachida Dati avait raison sur un point: la Sarkofrance ne dresse jamais le bilan de ses lois avant de lancer de nouvelles propositions dans le débat public. Mais elle confondait lourdement prévention et répression.
Certes, la loi disposait de quelques volets sur la répartition de la prévention entre les différentes autorités locales, «l'intégration républicaine» (avec la création d'un service volontaire citoyen de la police nationale), l'action socio-éducative (avec toutes sortes de gadgets : «partage d'informations», consultations, création facultative de «conseils de famille», amélioration de l'information sur l'absentéisme scolaire).
Mais dans les faits, elle complétait, une enième fois, l'arsenal répressif à disposition des autorités. Voici quelques-unes de ces mesures phares :
1. Elle prévoyait d'abord un renforcement des mesures répressives contre les mineurs délinquants: «présentation immédiate» devant un juge, placement pour un mois dans un établissement «permettant la mise en oeuvre d'un travail psychologique, éducatif et social portant sur les faits commis», placement en internat pour une année scolaire, avec «avertissement solennel» du tribunal, contrôle judiciaire avec placement en «centre éducatif fermé», création de «stage de responsabilité parentale» (un pas avant les deux ans de prisons prévus par Eric Ciotti ?), placement des mineurs de moins de 16 ans sous contrôle judiciaire dès leur première infraction, dès lors que cette infraction est passible d’au moins 7 ans d’emprisonnement, et suppression de l'excuse de minorité (peine divisée en 2 pour mineurs 16-18 ans) sans motivation en cas de récidive et d'atteinte aux personnes. Quelle prévention !
2. Cette loi créait aussi de nouvelles infractions, comme les violences avec arme commises en bande organisée ou avec guet-apens sur forces de l'ordre ou agent de transport (jusqu'à 15 ans de réclusion ou perpétuité), l'embuscade avec arme dans le but de commettre violences contre forces de l'ordre ou agents transports (5 ans et 75.000 euros d'amende).
3. Elle aggravait les peines pour rébellion (6 mois à un an) et provocation directe à la rébellion (deux mois prison au lieu d'une amende), ou pour la détention illégale de chiens d'attaque, de garde ou de défense (6 mois prison et 7.500 euros d'amende)
4. Pour prévenir les troubles de voisinage, la loi «améliorait» la définition de l'occupation illégale de halls d'immeuble («occuper en réunion les espaces communs ou les toits des immeubles collectifs d'habitation en entravant délibérément l'accès ou la libre circulation des personnes ou en empêchant le bon fonctionnement des dispositifs de sécurité et de sûreté», désormais puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, ou, en cas de voies de fait ou de menaces, de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende); prévoyait l'obligation faite aux immeubles de fermer leurs accès d'entrée; et réduisait les délais de garde en fourrière pour les stationnements illégaux de véhicules.
5. Elle accélérait la procédure d'évacuation forcée des campements sauvages de gens du voyage, pour les communes s’étant dotées d’une aire d’accueil (provisoire ou définitive), ou en passe de l'être (sic !).
6. Elle facilitait le recours à des sociétés privées de surveillance, en remplaçant le dispositif antérieur d’agrément par le préfet préalablement à la signature de tout contrat d’embauche, par un conditionnement des embauches d'agents de sécurité à la détention d’une carte professionnelle personnelle, nationale et pluriannuelle.