J’aime la gare centrale de Milan. Allez savoir pourquoi ? Sans doute parce que je la traverse au moins dix fois par an et qu’elle constitue une porte d’entrée sur une ville dont j’aime faire le tour sans forcément y rester, mais sans oublier la Via della Spiga, les alentours de la Scala et la place du Dôme, en restant attentif aux publicités dont l’humour ne pourrait se trouver - dans ce style raffiné et moqueur -ailleurs qu’en Italie.
Une gare emblématique, iconique même que j’ai longtemps connue pressée et un peu honteuse de ne pas avoir encore choisi entre l’aveu du passé et les tentations de la vie moderne.
Malgré sa majesté, ses immenses verrières voulues par Alberto Fava, ses escaliers somptueux mais durs aux personnes âgées et ses sculptures imposantes, elle donnait le sentiment d’une gare de province. Les queues y étaient vouées à des attentes interminables, les restaurants y étaient un peu endormis, relayés par des sortes de supermarchés pour voyageurs pressés et les foules se rassemblaient dans l’attente d’un horaire qui n’en n’était plus un, puisque le train d’avant devenait par le jeu des retards accumulés, le train d’après.
Mais il y avait surtout un regret de blancheur, sous une infinitude de couches de poussière donnant à des effets fascisants et grandiloquents un relent de cimetière mal entretenu.
On sait que sa conception et que sa construction prennent racine dans les bénédictions de Victor Emmanuel III, pour finir dans les bras du Conte Ciano, Ministre des Affaires Etrangère et gendre du Duce. Une sacre dégringolade qui suit pourtant la pente historique de l’Italie d’entre deux guerres.
On commence dans un modèle inspiré de Washington, capitale de la Démocratie et incarnation de la cité idéale pour terminer dans la célébration du chef suprême. Toute une histoire, vraiment !
Et puis j’ai dû traverser une période de plusieurs années où la gare a passé son avenir cul par dessus tête. Escaliers inatteignables, barrières de chantier à tous les étages et autour des sorties, transformant l’accès du côté de l’arrivée des cars venus des aéroports en un labyrinthe serpentin. Un labyrinthe parsemé des dragons de l’est vendeurs de parapluies, de jouets volants ou rampants et de faux bijoux de toutes origines. La pierre a pris la consistance d’une poussière blanche qui s’infiltre partout.
Je sens monter la plainte des usagers quotidiens, ce que je ne suis pas, mais avec lesquels je compatis, en particulier ceux qui sortent du métro à la nage, les jours de grande pluie, en tentant d’éviter des bâches qui concentrent la pluie en une multitude de lacs, plutôt que d’en renvoyer le flot vers les égouts.
Mais voilà, tout s’achève. Enfin, et par étape. Quelques jours avant que je ne prenne cette série de photographies, je devais me rendre à Fidenza. J’arrivai tard de Barcelone à Malpensa et le temps était compté pour se saisir du dernier train. Si le chauffeur de taxi m’a bien vendu son âme en transcendant l’autoroute en champ de course, il a du capituler dans les appontements qui permettent d’accéder à la gare et préfigurent la folie de la grande exposition 2015.
J’ai vu partir le train devant moi. Mais si je n’ai pas pu gagner le combat des derniers mètres , c’est que j’ai découvert une toute nouvelle gare, où la recherche des billets s’était rationalisée, mais nécessitait de vaincre tous les pièges de l’informatique, tandis que l’accès aux quais avait retenu les leçons des montages infinis de Cornelis Escher. Ces magnifiques voies ascensionnelles ou descendantes possèdent une liaison évidente avec leurs jumelles des grands magasins, transformant le jeu des accès en une sorte de parc d’attraction où les individus à deux pattes suivent leurs valises en faisant preuve d’une grande obéissance.
Il n’y a toujours pas de véritable café, mais des sortes de ventes à la sauvette dans des espaces confinés où la conquête d’un expresso ressemble à celle du trésor des Templiers.
Et l’affichage des trains ressemble encore à celui des résultats de la loterie nationale ou du calcio.
Mais j’aime pourtant la gare de Milan entre toutes. Allez savoir pourquoi je lui pardonne toutes ses offenses ?
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