Pourquoi Eric Woerth et Christine Lagarde, durant plus d’un an, laissèrent-t-ils le champ libre aux paiements en espèces, ceux qui ne laissent pas de trace ? Depuis octobre 1940, la loi les interdisait en France au-delà d’un certain montant. Il s’agissait de freiner le marché noir, puis de combattre la fraude fiscale, enfin de lutter contre le blanchiment de l’argent sale.
Pourtant, de février 2009 à juin 2010, sous prétexte de « moderniser l’économie », cette réglementation fut abrogée, mais son remplacement tarda. Pendant plus d’un an, le ministre du budget se montra intraitable en parole contre les fraudeurs et contre les trafiquants ; quant à son action, elle marqua le pas.
Depuis 1940, le code monétaire et financier et le code général des impôts sont régulièrement mis à jour, afin d’interdire les paiements en liquide dépassant un certain montant : 5.000 francs au tournant du siècle, ce qui est traduit par 750 euros au moment du passage à la monnaie unique. Au-delà, il faut rédiger un chèque barré, faire un virement, bref, laisser une trace écrite dans les livres d’une banque.
Mais un puissant lobby s’active : celui du commerce et de la distribution. Le plafond des paiements en espèce est bientôt relevé : 1.100 euros en 2005 pour un commerçant ; 3.000 euros pour un particulier s’il était résident fiscal en France ; 15.000 euros pour un non-résident.
Les sanctions suivent la pente inverse. Jusqu’en 2005, les contrevenants doivent acquitter solidairement une amende fixée à 5% des sommes illégalement échangées en liquide. L’ordonnance du 7 décembre 2005 atténue sensiblement l’article 1840 du code général des impôts. Les contrevenants sont désormais passibles d’une amende « dont le montant ne peut excéder 5% » des sommes illégalement échangées.
Pourtant, le Conseil du commerce de France, une émanation du Medef réunissant la plupart des syndicats patronaux de la distribution, accentue sa pression. En décembre 2008, il demande que l’on porte le plafond des paiements en espèces autorisés de 3.000 à 10.000 euros. On en savourera l’argumentaire. Un tel aménagement, écrit le Conseil du commerce de France, « n’aurait que des conséquences positives sur le budget de l’Etat en garantissant des entrées de TVA supplémentaires. »
Justement, Eric Woerth, alors ministre du Budget, et sa collègue de l’économie, Christine Lagarde, mettent la dernière main aux ordonnances fourre-tout visant à « prévenir le blanchiment » et à « moderniser l’économie ». Dans ce fatras se dissimule une réforme inattendue. L’article L112-8 du code monétaire et financier, qui fixait à 3.000 euros le plafond des paiements en espèce, est abrogé. Un article nouveau le remplace : le L112-6. Seul changement : le plafond que fixait la loi abrogée sera désormais fixé par décret des ministres de l’économie et du budget.
Et les mois passent… Faute de décret, les paiements en liquide sont déplafonnés. On n’entend plus le Conseil du commerce de France. Quelques avocats spécialisés rédigent des papiers étonnés et peaufinent leurs arguments contre l’administration fiscale, car ici et là, ses agents se réfèrent encore aux plafonds d’antan.
Le 22 mars 2010, Eric Woerth quitte le ministère du budget sans avoir pris le décret attendu. François Baroin le remplace. Le 18 juin, le journal officiel publie enfin le fameux décret, signé Lagarde et Baroin. Il fixe à 3.000 euros le montant maximum d’un paiement légal en liquide.
Ainsi, il aura fallu dix-sept mois pour recopier dans un décret les termes d’une loi abrogée par ordonnance. Pourquoi y avait-il urgence à abroger ? Pourquoi fallut-il si longtemps pour combler le vide juridique ainsi créé ?
« Je suis là pour assumer avec un minimum de courage ce qui aurait dû être fait avant et qui n’a pas été fait », affirmait Nicolas Sarkozy en avril 2008. L’important, c’est d’assumer.
Jean François Couvrat pour son blog « DéCHIFFRAGES«
merci à Section du Parti socialiste de l'île de ré
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