La dolce Vita, palme d’or à Cannes en 1960, fut un immense succès polémique et une référence cinématographique. Ce film brosse le portrait d’un homme déchiré entre ses aspirations intellectuelles et familiales, et les plaisirs voluptueux d’une jet-set décadente ne se souciant que de la prochaine fête. Et malgré le déluge de luxe et de soirées mondaines, le héro se réveillera avec la gueule de bois (mais pas le public).
La Dolce Vita est avant tout une tragédie, la tragédie d’un homme (Marcello), chroniqueur mondain, spectateur de son époque et de son destin, incapable de s’engager faute de volonté ; incapable de fonder une famille, ou de réaliser ses ambitions littéraires, celui-ci préfère succomber à l’ivresse de la fête plutôt que de se soumettre à l’ordonnance rigoureuse de la raison. Le culte de Dionysos transparaît tout au long du film au travers de ces soirées orgiaques qui bien souvent démarrent à la Via Veneto pour se finir dans une villa, sur une plage, ou dans la fontaine de Trevi.
Caravage - Bacchus
Pendant ce temps, Apollon contemple avec désarroi l’errance sans fin de ce héros sans cause qui choisira la décadence alors que la rédemption et l’innocence s’offrent à lui sous les traits rassurants d’une douce jeune fille. Fellini nous conte, par le biais de ce chroniqueur mondain, la lutte éternelle entre Dionysos, chantre de la débauche, et Apollon, gardien de l’équilibre et l’harmonie, dont le combat constitue la base de la tragédie.
Sylvie Defour - Apollon Dieu de la Lumière et de la Vérité
En renonçant à accomplir son rêve, Marcello choisit la futilité et les plaisirs immédiats dispensés par le carnaval mondain où chacun, abrité derrière un masque, compose un rôle retirant à chaque geste, chaque parole, sa sincérité. Et même si les panoplies ont bien évolué depuis l’époque de la commedia dell’arte, celles-ci habillent toujours le théâtre de la vie et couvrent de ridicule l’élite romaine dont Fellini nous montre la décadence et le burlesque.
Arlequin Marcello Mastroianni
Habillés de leur costume mondain d’une élégance et d’un luxe indéniables, les personnages que croisent Marcello sur la scène romaine composent un cirque dont la troupe ne parade que la nuit dans des lieux luxueux et improbables.
Car à la technique de la tragédie Fellini adjoint l’esthétique et les frasques scandaleuses des années 50 ( strip-tease, scène de baignade dans la fontaine, presse people…) pour mieux encrer son film dans la modernité. Anita Ekberg incarne l’idéal de la beauté avec sa blondeur vénitienne digne d’une déesse (moderne) tandis qu’Anouk Aimée endosse les habits de la féminité décadente dans la vie dissolue de Marcello, un Casanova moderne probablement voué aux flammes de l’enfer en raison de son infidélité.
Anita Ekberg Anouk Aimée
La jet-set, composée de nobles, de grands bourgeois, et d’artistes internationaux, s’incarne en divinités débauchées dans une olympe terriblement proche des humains, citoyens ordinaires, spectateurs avides de la luxure de ses nouveaux dieux. Cabriolets, champagne, haute couture et orchestres agrémentent leur parade tandis que le héro, fasciné par tant de nonchalance, cherche sa place. Mais son errance est douce puisqu’agrémentée de plaisirs et de sonorités jazzy, classiques ou rock. C’est ça la dolce vita.
La Dolce Vita est une véritable œuvre pop puisqu’en utilisant l’esthétique et l’actualité de son époque ce film actualise une tragédie éternelle. A la fois sensuelle, baroque, et avant gardiste, la bataille entre Dionysos et Apollon ne fut jamais aussi stylée qu’à Rome…