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Jacques Chirac : Mr Girardier, donnez donc votre carte de visite au Président Bébéar, il se fera un plaisir d'investir dans votre startuppe...

Publié le 11 août 2010 par Anne Onyme

(Les contes de l'Internet : petites histoires qui me reviennent. J'ai eu en effet la chance d'être aux premières loges pour observer le basculement de la France dans le numérique - J'avais déjà publié ce conte il y a quelques années... mais je l'ai ré-écrit un peu et ajouté des choses que je n'avais pas trop oser publier à l'époque).

En ces temps reculés où l'Internet était encore dans l'enfance, il était d'usage au début de l'An neuf, que le Roi de France recoive en son château ... Le Roi de France  ???
Que dis-je !... Je radote... Il y a déjà bien longtemps qu'il n'y avait plus de Roi, mais un Président. Oui, c'est cela : un Président du Royaume !... Donc le Président recevait en son beau Palais élyséen, les Forces Vives de la Nation pour leurs présenter ses meilleurs voeux à l'occasion ded l'An Nouveau. Je n'avais d'ailleurs jamais très bien compris l'expression "forces vives"... A croire que ceux qui n'étaient pas invités étaient des mécréants peu industrieux et pas très soucieux du bien commun... Mais soit...
Or donc, il advint que je fusse invité à cette cérémonie grandiose... Cela devait être en l'an de grâce 2001...

Que je vous narre la chose..

Honneur insigne, allez-vous dire !  Moi qui suis d'une famille dont les mâles sont serfs de père en fils sur les terres du baron P..... Ayant revêtu mes plus beaux atours, je m'y suis donc rendu derechef. Quel bonheur de voir de près ces Grands du Royaume, chamarrés d'insignes diverses mais néanmoins discrètes, descendant de leur magnifique carrosse, se congratulant ici et là d'une voix fluttée et mélodieuse, ciselée dans les moindres intonations..

D'ailleurs en arrivant au guichet principal du Palais, rue du Faubourg Saint Honoré, une voiture noire stoppa juste à côté de moi... Et en descendit... Mr Michel Pébereau, le grand patron de PNP Paribas... Que naturellement je connaissais vu que BNP Paribas nous avait racheté (nous : la Compagnie Bancaire et Paribas - après une bagarre boursière mémorable avec la Société Générale). Lui ne me connaissait pas, pensé-je, vu qu'il il ne m'avait jamais vu... Hé bien Mesdames et Messieurs je suis au regret de vous dire qu'il me connaissait ! Si, si... Pris de court, puisque le Monsieur est descendu de son carrosse quasiment sur mes pieds et que je ne n'y attendais pas, je lui ai demandé tout à trac "Bonjour Monsieur, comment vont nos affaires ?". Et il m'a répondu ! A moi simple gland-ou comme disait Jim Clark CEO de Netscape !... Il m'a dit que tout allait bien... Notre conversation s'est arrêté là... Car sur ces entrefaits, un autre carrosse identique à celui de Mr Pébereau stoppa net à côté de nous... En descendit sur nos pieds, un autre Grand du Royaume. Mr Bouton himself... Patron à l'époque de la Société Générale. Et comme vous ne le savez peut-être pas, Paribas et la Compagnie Bancaire devait se marier avec la Société Générale. Mariage qui n'a pas plu à M'sieur Pébereau... D'où la bagarre boursière qui s'en suivit, et le raid de la BNP. Je dois dire qu'il y a beaucoup de différences entre un mariage sous le régime de la communauté universelle, et un raid, où le nouveau propriétaire vous envoie des nuées de mercenaires dans les gencives. Les 2 hommes se sont salués froidement à ce qu'il m'a semblé. Et je me suis éclipsé en catimini, histoire de ne pas prendre de portes de prison dans la figure... Car quand 2 énarques Inspecteurs des Finances se rencontrent après s'être chipotés à la Bourse, on ne sait pas trop ce qui peut se passer...

J'avais déjà rencontré ce Monsieur Bouton : imbuvable le mec ! (faudra que je raconte l'histoire de sa table en granit et de l'enregistrement vidéo que nous avions fait en Real Audio avec André Lévy-Lang pour expliquer au monde notre mariage éventuel)... On m'a dit que les énarques étaient tous imbuvables.. Mais ce n'est peut-être que des racontards...

A ce que j'avais compris donc, j'étais invité comme "force vive" pour mon action en faveur du développement de l'Internet dans le Royaume républicain... D'ailleurs Chirac m'avait élevé pour cela au rang de Chevalier de la Légion d'Honneur... Si, si.. Vous ne saviez pas ? 

Comme d'habitude, un motard de belle prestance était venu apporter le carton d'invitation quelques jours auparavant... Ce qui avait beaucoup ému les dames de l'Atelier, et en particulier Chantal Duvigneau, très sensible au port de l'uniforme... Ainsi que les collaborateurs de l'immeuble du 5 avenue Kleber - siège de la Compagnie Bancaire...("Un motard dites-vous ? Pour Billaut ? Mais qu'est-ce qu'il a encore fait ?")...

Imaginez mon émoi, quand mes belles chaussures, achetées en solde chez Florsheim à New-York, ont fait crissé la mignonette de la cour de l'Elysée... En montant le perron, j'eus soudain une pensée pour ma maman (cela m'arrivait toujours quand je montais ce perron).. Sainte femme s'il en fût, qui me disait quand je ramenais des carnets de notes déplorables de l'Ecole de Jules Ferry :" Mon p'ôve petit, tu ne seras jamais un Haut Fonctionnaire"...

Je rentrais donc dans le Palais, très fier de moi, faisant en pensée un petit pied de nez filial à ma maman... Qui n'en doutons pas devait être en Paradis...
Déjà beaucoup de monde... On me fit entrer dans la salle des Fêtes du Château...
Et là surprise !... Le long des murs de cette magnifique salle rectangulaire, des espaces avaient été délimités de chaque côté, avec de gros cordons torsadés en velours couleur Ancien Régime. Cordons reliés à des potences dorées. Et devant chaque stalle, une pancarte indiquait que l'endroit ainsi délimité était réservé, qui aux banquiers, qui aux agriculteurs, celui-ci aux syndicalistes, celui-là à Messieurs des Corps Constitués, etc... Ils étaient tous là. Chaque grande catégorie sociale de notre Royaume avait son écurie... Je cherchais désespérément l'écurie Internet, quand je suis tombé sur une petite volée de galopins qui avaient créés leur startuppe... Intrigués que nous étions de nous voir en si haute compagnie 1.0, nous nous souhaitâmes bonne année...
Quand tout à coup... on annonçât le Président... Prestement, nous nous glissâmes dans le fond de la première stalle venue, car naturellement il n'y avait pas d'espace Internet... Celle réservée aux industriels et je me suis trouvé derrière Messieurs Lagardère et Beffa..
Chirac arriva, flanqué d'un sombre Jospin. Faisait la gueule le Jospin... Pourquoi  ? On ne le saura jamais..

Le Président fit un discours que l'Histoire ne retiendra pas (c'est affolant le nombre de discours que font les Grands de ce Monde et que l'Histoire des Homo Sapiens ne retiendra pas)... Et je compris ensuite pourquoi nous étions parqué de cette façon... Car Chirac, après son discours que l'Histoire ne retiendra pas, fit le tour des stalles pour serrer la main à chaque force vive en lui souhaitant une bonne année...
En attendant notre tour dans notre recoin, les galopins reprirent leurs conversation, là où ils l'avaient laissées... " Alors, comment cela va-t-il ? Ah bon ! Tu en es déjà à ton deuxième tour de capital risque  ? T'as lâché combien de ton capital ?"... Dans cette atmosphère bon enfant j'entendis soudain une espèce de chuintement sur ma droite... Le parc d'à-côté était celui des anciens combattants... Ils n'étaient que 3 ou 4... Et celui qui tenait la hampe du drapeau s'était tout simplement effondré dans un bruit discret, son camarade retenant le drapeau...

Vous me connaissez...N'écoutant que mon courage, je passais prestement sous le cordon de velours Ancien Régime pour aller porter secours au sauveur de la Nation... Quand une forte poigne me saisit à l'épaule...
Une voix non flutée me susurrât à l'oreille "Laissez Monsieur, nous avons l'habitude, c'est la chaleur"... Je me retournais... C'était un magnifique pompier de Paris tout de bleu vêtu avec des bottes de cuir... Il fit un signe à ses collègues planqués derrière un grand rideau rouge... L'un arriva avec une civière, l'autre avec une bouteille d'oxygène et son masque... Le temps que je revienne dans mon camp, les pompiers avaient embarqué le sauveur de la Nation. A part moi, personne n'avait rien vu. Les galopins parlaient toujours de ROI... J'étais quand même un peu retourné par ce qui venait de se passer, mais je n'eus guère le temps d'approfondir mes sentiments. Le Président et sa suite, tel un lourd zéphir secouant nonchalamment les blés d'été en Beauce, approchaient.. Je lui serrais la paluche, respectueux que nous sommes dans ma famille du suffrage universel.. Le Président semblât me reconnaître : j'avais en effet été invité a quelques réunions de travail élyséennes (voir ici).

Et puis, débandade... le buffet est ouvert... Je dois dire que le buffet de la Présidence de la République est quelque chose de somptueux : Louis le 14ème ne devait pas avoir mieux, et je pense y avoir récupéré une bonne partie de mes impôts. Champagne rosé dignement frappé, petits fours exquis... Et à la mezzanine, journalistes et cameramen s'affairaient pour immortaliser ces instants grandioses. Bref, nous étions heureux...
Et je continuais de papoter avec mes petits camarades sur la e-conjonture, quand un grand escogriffe tout de noir vêtu et portant fièrement une chaîne d'argent au cou, vient dire aux galopins d'un air pincé : "Le Président voudrait vous saluer, veuillez me suivre"...
Poursuivant ma conversation avec l'un d'eux... je suivais...
Et Chirac fut là... Il nous saluât, et je restais prudemment en arrière... Il demanda à l'un d'entre eux que je ne connaissais pas... "Alors Monsieur Giradier que faites-vous ?"
"Et bien, Monsieur le Président, notre société fait de la géointelligence"...
"Ah! répondit Chirac, qui ne se démontait pas pour autant. Cela consiste en quoi ?"
"Et bien, supposez Monsieur le Président que vous êtes une compagnie d'assurance, et que vous désireriez connaître par agence où se trouvent géographiquement vos clients, et surtout quel est votre potentiel de marché dans la zone...
"Ah, je vois dis Chirac, qui comprenaient vite ce genre de chose... Peut-on utiliser vos techniques dans le domaine politique ?"

Giradier n'eut pas le temps de répondre (la réponse est oui naturellement)... Car à ce moment-là passait à côté de notre petit groupe, Monsieur Bébéar qui faisait un sort à une assiette de petits fours délicats...
Le Président interpella Bébéar...
"Dites-moi Monsieur le Président (Bébéar est aussi Président mais dans un autre domaine - vous suivez ?), savez-vous ce qu'est la géointelligence ?
Pris au dépourvu, et surtout la bouche pleine d'un petit four à la crème, le Président (pas lui , l'autre - suivez je vous prie...) fit signe que non...
Et Chirac lui fit l'article de belle façon... Voilà ce qui s'appelle un bon commercial. La République avait à sa tête un commercial hors pair, je puis vous l'affirmer...
Chirac ayant de la suite dans les idées, continua... "Monsieur Girardier, donnez donc l'une de vos cartes de visite à Monsieur Bébéar..."(faut tout leur dire à ces galopins !..)... Et se tournant vers Bébéar : "Je crois que votre groupe, Monsieur le Président, devrait investir dans la startuppe de Monsieur Giradier...". Voilà une affaire promptement menée... (Maintenant que Moniseur Chirac est à la retraite, je ne comprends pas pourquoi un grand fonds de capital risque gaulois n'utilise pas ses compétences...)

Et puis, au gré des rencontres avec une coupe de champagne à la main, j'ai eu le plaisir de rencontrer l'ex Melle Chopinet (maintenant Duthilleul-Chopinet)  major de polytechnique en 1972, à l'époque conseillère à l'Elysée. Je lui faisais part de mes inquiétudes concernant le très haut débit en France : le Président ne devrait-il pas initier une politique beaucoup plus incitative ?
Et là, l'ex Melle Chopinet me fit une grande leçon de politique... "Vous savez me dit-elle, le Président est le Président de tous les Français. Il prend donc l'avis de tout un chacun... des agriculteurs aux syndicalistes, en passant part les banquiers, les associations représentatives, etc..."
Je n'insistais pas... J'étais un peu dans mes petits souliers achetés en solde... Vous vous rendez compte ! Je discutais presque d'égal à égal avec une major de la plus grande Ecole de France (ma maman préférait l'Ena, mais mon papa préférait l'X  - mais compte tenu de mes notes à l'école communale de la République, je ne fis ni l'une ni l'autre...).
Je me disais néanmoins en moi-même en écoutant la docte dame : "Heureusement que De Gaulle n'a pas commencé par prendre l'avis de tout le monde avant de lancer son appel de Londres... Nous y serions encore..."

Voilà. Pendant quelques heures j'ai été une force vive de la nation... Bébéar n'a jamais investi dans Asterop, mais Giradier m'a fait l'amité de me mander à son conseil... Et je n'ai jamais plus été invité à la cérémonie des voeux aux Forces Vives... Mais qui sait ?

Contes déjà publiés sur ce blog...

La prime de secrétariat, Ciel, une puce dans mon yaourt !, "Jean Michel, do you want to drink something ?" Jacques Chirac : "Monsieur Guillanton, je ne suis pas content de vous !"

Pourquoi les honorables membres de l’EAF (Elite Analogique Française) n’ont pas de cartes de visite ?

Bernard Muller : «Mais qu’est-ce que c’est encore que ces conneries ?»

PS... Si vous trouvez des fôttes dautaugraffe, merci de me les signaler là où elles sont... Pas la peine de me dire qu'il y a des foôtes, je le sais...

Et si vous aussi avez vécu des histoires intéressantes, merci de me dire...Et je recherche des dates (je perds des neurones). Par exemple quand Alcatel a t il commercialisé des SMH Adrex  ? etc... Des dates de la période du 22 à Asnières de Fernand Raynaud (1955 je crois) à Twitter aujourd'hui...


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