En lisant dans une librairie les premières pages du Coiffeur de Chateaubriand j'ai su tout de suite que nous allions faire bon ménage et que je regretterais de devoir le quitter une fois la dernière page refermée.
En effet, si le fond m'importe, je suis d'abord sensible à la forme. Un livre peut m'apporter les meilleures idées du monde, je rechignerai à le lire si le style de l'auteur m'insupporte.
Tel n'est donc pas le cas. Le ton désinvolte employé par l'auteur m'a plu dans l'instant. Ce dernier a le sens de la formule. Les phrases sont concises et il n'y a pas un mot de trop pour dire les choses. Un régal qui n'aurait pas manqué de séduire Morand.
Adolphe Pâques, le narrateur, a réellement existé. Coiffeur de son métier, il compte François-René de Chateaubriand dans sa clientèle, ce qui n'est pas une mince affaire :
"Il avait de moins en moins de cheveux et il fallait toujours qu'il semble décoiffé."
Ce coiffeur collectionne les mèches de cheveux de l'Enchanteur. Il se sert d'une balayette en argent pour les ramasser. Il les recueille pieusement dans une manière de boîte à gants, en acajou, et n'en laisse traîner aucune après lui, ce qui lui vaut les bonnes grâces de Madame de Chateaubriand qui répond au prénom de Céleste et qui n'aime "rien tant que la perfection de leur intérieur".
Ce coiffeur est un passionné de livres. Qui plus est il a une mémoire prodigieuse. Il enregistre dans sa tête tout ce que lui dit Chateaubriand en confidence. Aujourd'hui on dirait qu'il est fan de l'auteur du Génie du christianisme et qu'il en connaît par coeur tous les couplets.
C'est ainsi qu'avant tout le monde il a la primeur des plus belles pages du grand oeuvre de son maître, à savoir Les Mémoires d'Outre-Tombe. C'est ainsi qu'il devient l'informateur de l'écrivain vieillissant, son espion, celui qui lui assure la discrétion requise pour ses dernières bonnes fortunes.
Adolphe a fait l'acquisition d'un fusil. Celui-ci peut être équipé d'un silencieux. Dans quel dessein ? Nous ne le saurons qu'à la fin. Comme nous ne saurons qu'à la fin à quel usage, authentique, il destine sa collection de mèches de cheveux, en dégradé de couleurs, qui sont autant de marques du temps écoulé tout au long des années 1840. Comme nous ne saurons qu'à la fin comment et dans quel but il s'est servi de sa prodigieuse mémoire.
Chateaubriand reçoit beaucoup de courrier, auquel il répond toujours la même chose à quelques variantes près. Au milieu de toutes ces lettres il distingue pourtant un jour une lettre d'où s'échappe une tout autre musique. L'admiratrice ? Il s'agit d'une certaine Sophie qui lui écrit de Saint-Malo.
Une correspondance avec la singulière Sophie s'engage. L'aboutissement de cet échange épistolaire ? La venue chez Adolphe, tout fier de sa mission, de l'invitée secrète. A qui son célèbre épistolier envoie une voiture attelée pour l'aller quérir et la voir à l'insu de tous au domicile de son coiffeur.
Il n'était pas prévu que Sophie fût mulâtre, ni que Madame Pâques fût jalouse, encore moins qu'Adolphe tombât amoureux de cette fille des îles...qui rappelle, à Chateaubriand, Ourika, l'héroïne d'un roman de sa chère amie Madame de Duras.
Je vous laisse le soin de lire la suite et de connaître le vrai du faux de cette histoire en lisant la note finale et explicative d'Adrien Goetz. Je vous laisse découvrir, si vous l'ignorez, le récit rocambolesque de la publication des Mémoires. Tout ce que je peux vous dire c'est que vous passerez un excellent moment et que vous en saurez un peu plus, à condition de faire preuve d'un peu de discernement, sur les dernières années de l'auteur d'Atala.
Francis Richard