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Comment peut-on être Papou?

Publié le 14 juillet 2010 par Francoisjost

J’ai déjà eu l’occasion de dire dans ce blog combien le principe même de Rendez-vous en terre inconnue m’inspirait de dégoût (http://comprendrelatele.blog.lemonde.fr/2009/12/23/215/) parce qu’il reposait sur une idée exotique du”bon sauvage” à l’opposé de la compréhension que suppose la découverte de l’Autre.

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Avec Bienvenue dans ma tribu, TF1 va encore plus loin dans la transformation des peuples aborigènes en décor exotique. Trois familles d’anonymes, et non plus de “célébrités”, sont envoyées dans des tribus en Ethiopie, en Papouasie et en Amazonie. L’une d’elles n’a jamais voyagé hors de France. Tous n’ont aucune idée de la localisation géographique de leur destination. “C’est la fin du monde”, risque l’un. A l’opposé des voyageurs qui s’enquièrent de la culture qu’ils vont visiter, ici, l’ignorance culturelle est la valeur suprême. Moins on en sait, meilleure sera l’épreuve et l’émission!

C’est qu’en fait ces voyages ne sont pas destinés à découvrir l’Autre, mais seulement à s’éprouver soi-même. Le programme est d’ailleurs présenté comme un jeu de l’extrême dans la lignée de Koh-Lanta, à cette seule différence qu’il ne s’agit plus ici de survivre dans un milieu naturel hostile, mais de survivre dans un milieu humain hostile. Les Hulis, en Papouasie, sont d’ailleurs présentés comme de terribles guerriers sanguinaires. Dès lors, un mot va scander “l’aventure” à espaces réguliers: “défi“: “ils sont partis pour le défi”, “ce voyage sera aussi un défi: ils devront dépasser leurs limites”… Il ne s’agit en aucun cas de voyager pour découvrir ou pour apprendre (selon le vieil adage : “les voyages forment la jeunesse”), mais plutôt de voyager pour se prouver quelque chose à soi-même. En cela, ce programme s’inscrit parfaitement dans la lignée de la télé-réalité où “l’aventure” est narcissique avant d’être tournée vers l’Autre. Une épouse veut “prouver” à son mari qu’elle peut “surmonter des épreuves”, comme une revanche de la monotonie de la vie de la fameuse ménagère de moins de 50 ans. Une autre, venant “des quartiers chics de la capitale” se donne comme “challenge” de supporter une vie très dure. Une troisième a un objectif: “prouver qu’elle est de taille à affronter cette aventure”

Comme il faut réunir la famille devant le petit écran (”on se retrouve sur TF1″, dit la publicité), ce sont des familles qui voyagent. Cela permet à chacun de s’identifier: la cadette veut un “lit confortable”, une autre veut se “maquiller”… comment fera-t-elle, alors qu’on se peint avec de la bouse de taureau dans la tribu qui l’accueille? Car, ici, les moeurs des indigènes se mesurent à nos habitudes (”elle doit se rendre à l’évidence, un monde la sépare de ses habitudes parisiennes”): l’un arrive avec son rouleau de papier hygiénique et demande où se trouvent les “commodités”, l’ado capricieuse fond en larmes au moment de manger du porc rôti parce qu’en le découpant le chef a fait une tache sur sa robe, enfin, l’épisode se termine sur un grave conflit: la famille veut dormir dans la même case, alors que la coutume des Surmas est de séparer hommes et femmes…

On le voit: le but de l’émission n’est absolument pas de découvrir une autre culture, mais d’utiliser la tribu comme un décor d’un jeu de l’extrême, dans lequel l’étranger est senti comme une menace perpétuelle, non seulement pour chacun, mais pour la famille française. Evidemment, on le pressent, tout cela s’arrangera et, à l’arrivée, ces trois familles exemplaires auront vécu la plus belle “aventure” de leur vie. Mais, en attendant, les tribus “primitives” auront simplement été utilisées comme repoussoirs. Comment peut-on être Persan, demandait le Parisien en découvrant un homme habillé différemment de lui dans les Lettres persannes, de Montesquieu?  Comment peut-on être Papou? se demandent à sa manière chaque membre de ces familles confrontées à l’inconnu. Seul un homme, qui a été légionnaire, est “comme un poisson dans l’eau”. Pour les femmes au foyer, c’est plus difficile…

En me mettant devant mon écran pour analyser cette émission hier, je croyais n’en avoir que pour 90 minutes (c’est déjà beaucoup). Mais non c’est un feuilleton: une fois les personnages castés puis construits, on passera  par toutes les émotions. Entretemps, un média aura abîmé une culture en transformant la réalité en un jeu pour Occidentaux… Cela m’inspire un profond dégoût.

PS: l’émission présente la tribu Zapara comme coupée de notre civilisation mais on trouve sur internet le site d’une association de défense de cette ethnie, apparemment construit par un de ses membres… http://www.llacta.org/organiz/anazppa/

Sur la tribu Surma, je renvoie à ce blog, où les habitants sont montrés nus (et non habillés comme dans Bienvenue dans ma tribu), fumant et surtout artistes http://www.regards-passion.com/carnets/zoom.asp?Rub=5

Sur les Zaparas, voir la page Facebook qui leur est consacré http://www.facebook.com/group.php?gid=142809925736013&ref=nf

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