Le 6 mai, ce pape a salué la victoire présidentielle de Nicolas Sarkozy, à laquelle avait contribué une large majorité d'électeurs catholiques (50 % au premier tour). Le Vatican avait apprécié sa campagne sur les "valeurs" aux accents barrésiens, ses références à l'héritage chrétien de la France et de l'Europe (Jeanne d'Arc, Mont-Saint-Michel), ses réserves à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne (UE), sa défense de la famille traditionnelle, son hostilité au mariage homosexuel.
Depuis, la Rome papale loue "l'homme de convictions" et sa pratique d'une "saine laïcité", celle qui ne réduit pas la religion au seul espace privé, mais lui donne toute sa place - y compris à l'islam que l'ancien ministre de l'intérieur a contribué à organiser avec le Conseil français du culte musulman (CFCM) - dans le débat public.
Bref, le pape mise sur une France appelée, dans un semestre, à présider l'UE. Il saura gré au président français de tenir bon sur la Turquie, sur l'obligation faite à l'Union, dans le mini-traité, de "maintenir un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les Eglises" (article 15). Entre le Quai d'Orsay et la diplomatie vaticane, une concertation s'est également ébauchée sur le Liban (et le rôle du cardinal Nasrallah Sfeir, patriarche des maronites), puis sur le Proche-Orient, notamment sur le dossier israélo-palestinien.
L'Elysée a tenu informée la Curie de ses efforts visant à la libération de l'otage franco-colombienne Ingrid Betancourt. A maintes reprises, Benoît XVI a dénoncé l'apathie du monde devant les tragédies africaines et devait aussi entretenir son hôte de la situation au Darfour et de son projet d'Union méditerranéenne.
De son côté, le président Sarkozy entend aller au bout de ses propositions iconoclastes en vue de desserrer le corset de la "séparation" Eglises-Etat dans le sens d'un financement public des lieux de culte (la commission Machelon), de relancer la commission de dialogue entre Etat et Eglise (qu'avait créée Lionel Jospin). Sans complexes, mais sans en rajouter, il s'entoure de personnalités connues pour leur étiquette catholique : le secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant, la directrice de cabinet Emmanuelle Mignon, le premier ministre François Fillon, le secrétaire d'Etat à la coopération Jean-Marie Bockel. Ou encore la ministre du logement, Christine Boutin, qui a engagé un prêtre dans son cabinet.
M. Sarkozy ira à Rome entouré de personnalités catholiques engagées. Il prendra enfin possession de son siège de "chanoine honoraire" de la basilique de Saint-Jean-de-Latran qui revient de droit au président français. "M. Sarkozy s'inscrit dans la continuité des chefs d'Etat français conscients d'un lien à maintenir entre l'Eglise et sa fille aînée", commente-t-on à Rome.
Alors, bien sûr, il y a le revers de la médaille : ses positions éthiques encore floues, sa politique du logement et celle de l'immigration (expulsions, test ADN) qui suscite des critiques régulières de l'épiscopat à qui le ministre de l'immigration et de l'intégration, Brice Hortefeux, vient de proposer, dans une lettre courtoise, un dialogue suivi. Puis, murmure-t-on au Vatican, il y a son goût pour les "paillettes", sa fréquentation des "riches", ses deux divorces, et maintenant sa liaison avec l'ancien mannequin Carla Bruni. "Les rumeurs des derniers jours sur M. Sarkozy nous laissent quand même perplexes", lâche un officiel de la Curie. Mais la vie privée du président n'entrera pas au Vatican. "On reçoit la France, pas un homme politique en particulier, souligne un cardinal de Curie. La situation maritale de M. Sarkozy n'est absolument pas entrée en ligne de compte dans la préparation de cette visite."
Enthousiasme prématuré ? On dit à Rome qu'une page nouvelle s'ouvre dans l'histoire des relations entre la France et le Vatican. Benoît XVI devrait réserver au président français la primeur de l'annonce de sa première visite dans l'Hexagone à l'automne 2008. Il ira à Lourdes, peut-être aussi au Mont-Saint-Michel cher à Nicolas Sarkozy, sans doute à Paris dont l'archevêque, André Vingt-Trois, vient d'être élu à la présidence de la Conférence des évêques et à qui la place de Mgr Lustiger à l'Académie française serait déjà réservée.
Henri Tincq