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Une décision de justice ravive le débat sur le contrôle du web
Par Vincent Chauvet
PARIS (Reuters) - La condamnation des fournisseurs d'accès à internet (FAI) français à bloquer certains sites relance la polémique sur le contrôle d'Internet et la possibilité d'un web à deux vitesses, dans un débat où sécurité, liberté et rentabilité semblent s'opposer.
Le Tribunal de grande instance (TGI) de Paris a contraint vendredi les FAI - dont Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free - à bloquer l'accès aux sites de jeux non homologués par l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel).
Ce jugement inédit pourrait entraîner des décisions similaires contre les sites illégaux de partage de films et de musique, ce que dénoncent les associations de défense des internautes.
"Cette décision ouvre la voie à la mise en oeuvre chez les opérateurs d'une véritable infrastructure de censure du Net", a déclaré à Reuters le porte-parole de La Quadrature du Net, Jérémie Zimmermann.
Le débat devrait se poursuivre, alors que l'Hadopi, autorité administrative de lutte contre le téléchargement illégal, est devenue opérationnelle fin juillet, et que la loi d'orientation sur la sécurité intérieure (Loppsi) qui prévoit le blocage des sites pédopornographiques, doit être examinée à la rentrée.
Il risque également de remettre en question la notion de "neutralité de l'internet", qui renvoie à l'égalité de traitement accordée à toutes les données transitant sur le réseau, que ce soit au niveau de la vitesse de connexion ou des éventuels filtres appliqués au contenu.
LIBERTÉ DE CHOIX
"Ce serait un peu comme si le constructeur de voitures décidait pour nous de l'endroit où passer nos vacances, parce que la route y conduisant serait plus rapide", a expliqué à Reuters Patrice Lamothe, P-DG de la start-up parisienne Pearltrees. "C'est avant tout une question de liberté de choix individuel."
"La fin de la neutralité du net tuerait un des moteurs de l'innovation, mais à mon avis elle a peu de chances d'arriver, car personne n'y a fondamentalement intérêt", a-t-il cependant ajouté.
Au-delà des aspects de respect de la vie privée et de liberté d'expression, la question de la neutralité du net représente un véritable enjeu économique. Elle permet une libre concurrence en offrant à tous les acteurs de la toile les mêmes conditions d'accès et en mettant ainsi sur un pied d'égalité les multinationales cotées et les sociétés web en développement.
"Plusieurs lois actuelles, l'Hadopi, la Loppsi et la loi sur les jeux en ligne, peuvent porter atteinte à la neutralité du net", a estimé de son côté la vice-présidente (UMP) du groupe d'études "Internet" de l'Assemblée nationale, Laure de la Raudière.
Elle s'est étonnée de la condamnation des FAI par le TGI de Paris. "L'intitulé très large de la décision permet l'utilisation de technologies analysant le contenu des données (...) qui peuvent violer la vie privée et la liberté d'expression", a-t-elle dit.
Laure de la Raudière compte présenter un texte au Parlement sur le sujet afin que les lois votées préservent ce principe, misant sur une évolution de la majorité UMP à l'Assemblée.
"Le groupe UMP a une compréhension plus fine de l'internet et n'est plus du tout dans une attitude répressive vis-à-vis de l'Internet", a-t-elle estimé.
Des extraits d'un rapport parlementaire confidentiel intitulé "La neutralité de l'Internet, un atout pour le développement de l'économie numérique" remis début août à Nathalie Kosciusko-Morizet, secrétaire d'Etat à l'Economie numérique, et devant servir de base aux débats de la rentrée, ont été publiés lundi par liberation.fr.
Selon le site du quotidien, le document n'exclut pas la création d'un internet à plusieurs vitesses et la mise en place de dispositifs de filtrages des sites illégaux.
Ces positions rejoignent en partie celles présentées le même jour aux Etats-Unis par Verizon et Google dans leur proposition législative conjointe. Les deux entreprises prévoient en effet la possibilité de réserver des services supplémentaires aux clients de certains FAI.
Prenant en compte à la fois les enjeux économiques et politiques de la question, la Commission européenne a de son côté lancé pendant l'été une consultation publique sur la neutralité du net, qui prendra fin le 30 septembre et devrait aboutir à une proposition de directive sur le sujet.