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moujik, moujik, de Sophie G Lucas (par Jacques Morin)

Par Florence Trocmé

Lucas, moujik  La progression de Sophie G Lucas a été continue depuis cinq ans, et cinq recueils. Depuis l’initial : « ouh la géorgie » parue dans la petite collection Polder. A hésiter même sur son identité, pour revenir à celle-ci. Certains auraient été en droit de se demander si elle n’allait pas se laisser prendre dans un jeu d’influences, desquelles elle n’aurait pu se départir. L’observateur bien avisé jugera définitivement avec cet ensemble chez un tout nouvel éditeur que la cause est entendue et que Sophie G Lucas place sa voix d’une façon originale et personnelle au sein de la poésie contemporaine.  
Pour preuve ? La forme d’abord. Le vers court, coupé souvent entre deux syllabes d’un même mot, ce genre d’enjambement automatique, où l’on devine l’ombre d’un bégaiement. Comme une langue qui bute sur son propre sens. Ensuite un recueil structuré en quatre parties où chacune revendique son autonomie par une forme spécifique : entre poèmes en vers et poèmes en prose. Dans la première, les titres sont simplement lancés par un nom (terre ou bâche) ou un prénom, le plus souvent, suivis d’une virgule, à la fois discrète et démonstrative, coiffant et enchaînant les mots qui suivent. Enfin, le plus important, au fond, même si sans ces préliminaires indispensables, rien n’aurait la même résonance. L’auteur présente une collection de portraits de tous ces gens à qui la société n’a même pas trouvé de nom, qu’on appelle par acronyme SDF ou par emprunt squatter. On se souvient de Sangatte et de la jungle où se trouvaient mélangés tous ces hommes, le plus souvent, ayant quitté au péril de leur vie et dans l’exploitation la plus sordide, leur pays, classés tiers monde, pleins d’espoir, pour rejoindre sur le sol du pays des droits de l’homme le quart monde le plus misérable. Ainsi Sophie égrène-t-elle ces photos de quelques-uns de ces êtres humains au milieu de leur dèche et de leur désespoir. Titres vocatifs, je l’ai dit, avec leurs prénoms comme un emblème et comme dernière preuve de leur existence au sein de la communauté humaine qui les a marginalisés dans le dernier cercle des exclus. Et ces autres : « bâche » », ou « chêne », comme contrepoints soudain personnifiés, de ces hommes, si proches et si fragilisés, perdant leur humanité. Les proses permettent surtout de mieux décrire, on quitte l’intériorité et l’émotion pour énumérer ce qui fait le tour de la personne, le décor, fait d’objets quelconques, nécessaires cependant à la survie, à court terme. La photo est prise, un peu dans le flou des arrière-plans des autres bouts de la planète. Il se dit qu’il s’est perdu quelque part au milieu des autres. Le monologue aussi de celui qui a élu pour domicile le banc du quai de la gare routière. Au bord de partir, à jamais, ou de rentrer chez lui. Embarcadère au beau milieu de l’eau. Enfin le père qui faisait partie de toute cette bande de malheureux, de délaissés, de chômeurs broyés par la vis du pressoir économique, ces moujiks pour reprendre le titre général, qui referme le recueil pour signifier que ce peuple de bannis appartiennent à sa famille non seulement de coeur mais de chair. Ce livre est un hymne pour les pauvres du monde entier. Musique musique, politique. Lorsque la poésie se met au chevet de la réalité la plus crue.  
Par Jacques Morin 
 
Sophie G Lucas :  
moujik moujik 
Editions des Etats civils (58, rue Marengo – 13006 Marseille) 
12,50 €.  


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