Après chaque page, de Christiane Veschambre (par Antoine Emaz)

Par Florence Trocmé

’est un petit livre construit comme une collection d’épiphanies, c’est-à-dire des moments où brusquement vivre se révèle plus grand que d’habitude alors qu’on est resté dans l’ordinaire du jour. Non pas une évasion, un évasement, une dilatation d’être, le plus souvent heureuse, mais qui peut être aussi, comme dans La table est disposée, dépassement d’une douleur, apaisement. 
Il s’agit d’une suite de poèmes en prose, sauf un en vers libres. Cette prose est de forme assez variée : le premier poème par exemple est constitué d’une seule longue phrase qui se déplie, se déploie, s’étire sur quatre pages. Le dernier poème du livre s’apparente au verset dans sa disposition. Cette souplesse de l’écriture convient bien au projet puisque Christiane Veschambre note justement : « C’est d’abord désemparé, dessaisi qu’on vient à écrire. Dessaisi de tout contenu préalable, de toute forme reconnue. » (p.32) Il s’agit d’accueillir l’expérience de vivre, et celle-ci « vient d’un monde sans mots, sans catégories, sans intentions. » (p.33) D’où l’insistance sur l’instant, l’inattendu, le fugace, le passage : « ça peut nous traverser (…) ça nous échappe » (p.33), « l’attente, toute l’attente, tendue vers ce qui nous traverse. » (p.51) Ces instants de révélation, d’illumination prennent le plus souvent leur source dans les sensations : le goût des cerises en mai 68 dans Tout se tenait là, le chant des moniales dans Elles sont douze, une odeur dans Il y faut… Mais c’est surtout la vue qui prime : Géologies est un beau texte sur le regard, accompagné de photos-portraits de Dominique Cartelier. Mais il y a aussi l’éblouissement de la lumière d’automne (Septembre) ou l’illumination devant le tremblement d’un brin d’herbe, à l’aube (Orbite) : « Le monde vivait, ô comme je le savais, immobile présence, ô quelle présence ! » (p.12) 
Ce livre, cette suite de moments d’intense présence au monde, nous lave. Et le lecteur rejoint l’auteur dans « un certain usage de la poésie qui consiste, pour celui qui l’écrit, à se faire du bien. »(p.37) 
par Antoine Emaz 
 
Christiane Veschambre 
Après chaque page 
Ed. Le préau des collines  
54 pages – 12 euros