Il s’agit d’une suite de poèmes en prose, sauf un en vers libres. Cette prose
est de forme assez variée : le premier poème par exemple est constitué
d’une seule longue phrase qui se déplie, se déploie, s’étire sur quatre pages.
Le dernier poème du livre s’apparente au verset dans sa disposition. Cette
souplesse de l’écriture convient bien au projet puisque Christiane Veschambre
note justement : « C’est d’abord désemparé, dessaisi qu’on vient à
écrire. Dessaisi de tout contenu préalable, de toute forme reconnue. » (p.32)
Il s’agit d’accueillir l’expérience de vivre, et celle-ci « vient d’un
monde sans mots, sans catégories, sans intentions. » (p.33) D’où
l’insistance sur l’instant, l’inattendu, le fugace, le passage : « ça
peut nous traverser (…) ça nous échappe » (p.33), « l’attente, toute
l’attente, tendue vers ce qui nous traverse. » (p.51) Ces instants de
révélation, d’illumination prennent le plus souvent leur source dans les
sensations : le goût des cerises en mai 68 dans Tout se tenait là, le chant des moniales dans Elles sont douze, une odeur dans Il y faut… Mais c’est surtout la vue qui prime : Géologies est un beau texte sur le
regard, accompagné de photos-portraits de Dominique Cartelier. Mais il y a
aussi l’éblouissement de la lumière d’automne (Septembre) ou l’illumination devant le tremblement d’un brin
d’herbe, à l’aube (Orbite) :
« Le monde vivait, ô comme je le savais, immobile présence, ô quelle
présence ! » (p.12)
Ce livre, cette suite de moments d’intense présence au monde, nous lave. Et le
lecteur rejoint l’auteur dans « un certain usage de la poésie qui consiste,
pour celui qui l’écrit, à se faire du bien. »(p.37)
par Antoine Emaz
Christiane Veschambre
Après chaque page
Ed. Le préau des collines
54 pages – 12 euros