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La gauche prisonnière du discours sécuritaire

Publié le 10 août 2010 par Vogelsong @Vogelsong

“L’immigration est absorbable à petite doses” J.P. Chevènement – février 1997

Investie par l’univers mental de la droite, la gauche récite les mantras sécuritaires. Un terrain miné. Pris au dépourvu par les saillies du président de la République, conforté par le simulacre de l’opinion publique, en l’occurrence l’IFOP et Le Figaro, les prétendants aux affaires du PS s’engouffrent dans une dialectique à peine moins connotée que les phalanges droitières. A. Montebourg, tout en fustigeant à juste titre l’incapacité et l’incompétence de N. Sarkozy sur les questions de police, s’est permis une envolée digne d’un F. Lefebvre, où il concède que la gauche par le passé fit preuve d’angélisme, “dans une période où la société était moins violente”. Où, quand, comment ? De quoi parle A. Montebourg ? Ce qui en dit assez long sur le rôle de l’État, ce paternel grondant, que la droite, mais aussi la gauche veulent incarner. Pas au clair sur ces questions, pris dans le tourbillon du fait divers élevé au rang de fait social, on tente comme on le peut de coller au désir fugace de l’opinion. Qui tantôt maugrée contre les contraintes hygiénistes et liberticides, tantôt fantasme sur le risque zéro d’une société clinique.

À tous les coups, perdu

La gauche prisonnière du discours sécuritaireA. Montebourg (comme ses camarades du PS) sont trop intelligents pour ignorer la relative pacification de la société. En 10 ans le nombre d’homicides (révélateur de la violence dure) a chuté de 35 %, en 2000 1051 morts contre 682 en 2009. On semble aussi découvrir la violence inhérente aux groupes humains d’intérêts divergents. Une violence “normale” qui recouvre plusieurs univers. Mais dans les stéréotypes véhiculés communément, surfaits, l’ultraviolence constitue le produit vendeur que les médias en constante recherche de débouchés servent chaud et froid. En l’occurrence, sont présentés en simultanées attaques à main armée par de la racaille de banlieue et du tournage « embedded » de la fine fleur des “forces de l’ordre”. Le poison et son antidote scénarisé et sponsorisé. Les partis de gauche prisonniers de la construction sociale du prisme médiatico-spectaculaire n’ont plus d’autres choix que de poursuivre la fuite en avant initié par la droite. Non pas qu’il n’y a pas de violence, qu’elle serait inventée, ou qu’il n’y a pas de problèmes. L’idée reçue du “sentiment d’insécurité” a permis avantageusement aux professionnels (politiques, communicants ou affairistes) d’affubler de “laxistes” ou d’“angélismes” les auteurs critiques sur le sujet. Non pas que la gauche ne doit pas s’en préoccuper, non plus. La sureté est une obligation majeure de l’État. Mais il est frappant qu’A. Montebourg par exemple évoque un apex de violence alors que rien ne lui permet de l’affirmer. Mis à part les gesticulations présidentielles et médiatiques sur ce thème qui vaut réalité tangible. Ces simulacres ayant valeur d’opinion provoquent la panique des leaders progressistes. Avec l’obligation de rendre une copie sur la question, dans un cadre imposé et pas forcément propice. La sécurité est définitivement un outil pour la droite. Le grand braconnier F. Lefebvre qui connaît ses classiques déclare d’ailleurs “La sécurité est une question d’égalité”. Fermer le ban.

Une arme à double tranchant

Souffler sur les braises pourrait aussi être favorable au PS. L’émergence du FN comme force politique substantielle occasionne quelques bienfaits électoraux. Relever les impérities sarkoziennes sur le sujet semble vain néanmoins. D’abord parce qu’elle libère la parole raciste. Entrer dans la thématique sécuritaire, c’est aussi faire un saut dans les idées reçues sur l’immigration. Ici, encore une fois, avec l’assentiment bienveillant de la focale journalistique (le feuilleton L. Hebbadj). Fleurissent alors les “je ne suis pas raciste, mais…”. D’autre part, c’est signifier à N. Sarkozy que l’électorat du front national est une cible à conquérir sous peine d’éviction. Impensable pour ce soudard, survivant de la politique pour qui le pouvoir est l’ivresse ultime, une manière de vivre, une seconde nature. Le discours de campagne d’août 2010 de Grenoble en découle alors. Si les ténors conservateurs maniaient ce thème avec parcimonie (et aussi débordements), la nouvelle garde a fait du cynisme une vulgaire pratique politique. La nation alors remise au centre du débat, valeur de droite par essence, qui donne chaque fois la pleine mesure de son efficacité électorale. S. Royal (avec J.P. Chevènement) s’y était essayée en 2007 avec le succès que l’on connaît. Ainsi que le virage sécuritaire de 1997 de la gauche…

De plus, ceux qui pensent que l’on préfère toujours l’original à la copie se trompent partiellement. Si la gauche ne peut damer le pion à la droite sur cette thématique, il n’est probable que la droite puisse (encore) réussir l’annexion de son extrême. Il suffit de constater l’assurance avec laquelle le Président et ses lieutenants assènent les atrocités. On peut alors s’interroger sur le calcul politicien de la manœuvre, et/ou la profonde sincérité et la pleine adhésion à ce discours. Ce n’est alors plus une copie du Front National mais un double disposant d’une structure capable de gouverner. L’UMP.

Les sondages quoiqu’en pensent les critiques (surtout parce qu’ils ne leur conviennent pas) ont une valeur. Même relative. Les résultats d’une étude publiée dans le Figaro ont plébiscité les mesures drastiques de N. Sarkozy, dont un très proche déclarait “La déchéance de la nationalité, cela va marcher à fond. Même Le Pen n’est jamais allé aussi loin”. Les socialistes quant à eux se trouvent bien démunis, car ils utilisent les mêmes sondeurs, qui posent les mêmes questions. Les mêmes méthodes en somme. Outre la réalité constatée sur terrain, la thématique sécuritaire reste le domaine du toujours “plus”. La gauche, par exemple, ne discute pas la pertinence de la vidéo surveillance partout et toujours. Ils n’en ont plus la capacité. Désamorcer les représentations demande davantage d’énergie que de s’adapter au consensus sécuritaire. Un consensus bien partagé, M. Szafran de l’hebdomadaire Marianne (O combien anti Sarkozyste) déclarait (dans sa Lettre ouverte à S. Veil) “que nous (Marianne) pouvions approuver certains aspects de sa (N. Sarkozy) démarche sécuritaire”…

Qui va passer une heure au début de chaque débat pour expliquer l’inutilité des caméras de surveillance, et décrire la relative paix dans laquelle les Français vivent au regard de leurs aïeuls ? Qui en appellera à l’histoire alors que l’information efface tout sur son passage ? Le piège se referme alors : que propose la gauche pour faire la guerre à l’insécurité (à part la (sempiternelle) police de proximité) ? Autant, plus , en dessous que la nouvelle hauteur de barre imposée par N. Sarkozy ?

Vogelsong – 10 Août 2010 – Paris

Compléments

Les chiffres de la délinquance par L. Mucchielli :


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