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Déminage constitutionnel de la nouvelle procédure de perquisition fiscale (CC n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010 Époux Pipolo et autres)

Publié le 10 août 2010 par Combatsdh

Constitutionnalité de la nouvelle procédure de perquisition fiscale

par Serge SLAMA

Le Conseil constitutionnel était saisi de deux QPC renvoyées par le Conseil d’État (CE, 9 juin 2010, Epoux Pipolo, n° 338028) et la Cour de cassation (arrêts nos 12093 et 12101 du 15 juin 2010, La SARL DEG CONSEILS, Société WEBTEL-GSM LLC, Mme Régine D. épouse ANGOT-AMBROISE et M. Philippe C.) portant sur la conformité aux droits et libertés constitutionnels des 1° et 3° du paragraphe IV de l’article 164 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie organisant un régime transitoire de perquisition fiscale ainsi que de l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de cette même disposition (article 164 I.).

Suite à la condamnation bombe de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 21 février 2008, Ravon et a. c. France, n° 18497/03), qualifiée de “bombe” par un (ancien) célèbre blogueur, les deux dispositions visaient à réformer le régime des visites et saisies fiscales en accordant au contribuable de nouveaux droits. Le dispositif transitoire ouvrait droit, dans des conditions analogues à celles que prévoient l’article L. 16 B du LPF, à un appel contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, pour les procédures pour lesquelles le procès-verbal ou l’inventaire a été remis ou réceptionné antérieurement à la date d’entrée en vigueur de la réforme.

Sur la recevabilité de la question portant sur l’article 16 B du LPF, le Conseil constitutionnel s’attache d’abord à analyser l’origine des dispositions renvoyées et à identifier celles qu’il avait déjà eu l’occasion de déclarer conformes à la Constitution  On sait qu’il prononce un non lieu à statuer pour une disposition renvoyée dès lors qu’il estime l’avoir déjà contrôlée (Cons. constit, n° 2010-9 QPC du 02 juillet 2010 Section française de l’OIP, Actualités droits-libertés du 2 juillet 2010 et CPDH de la même date). Or, de l’accumulation et l’enchevêtrement des textes, il déduit avoir déjà examiné, malgré des modifications ultérieures, le paragraphe II de l’article L. 16 B du LPF (considérants 4 et 5 renvoyant à déc. n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 et n° 89-268 DC du 29 décembre 1989). Il estime par ailleurs qu’aucun changement de circonstances ne justifie que le Conseil constitutionnel fasse évoluer ces jurisprudences car « ni la réforme de la loi du 15 juin 2000, sans portée quant à la constitutionnalité de la disposition déférée ni la loi du 4 août 2008, qui a élevé le niveau de garanties (…), ne justifiaient un réexamen d’ensemble de l’article L. 16 B du LPF », selon les explications aux Cahiers du Conseil constitutionnel. Par suite, il prononce un non lieu à statuer, ce qui lui permet d’écarter les griefs tirés de l’atteinte au droit de propriété et de la méconnaissance de l’inviolabilité du domicile ou de l’atteinte à l’article 66 de la Constitution (cons. 10). La disposition du VI de l’article 49 de la loi du 15 juin 2000, qui, quant à elle, n’a pas déjà été contrôlé par le Conseil a, selon son analyse, « pour seul objet » de confier au JLD et non plus au président du TGI le pouvoir d’autoriser les visites et ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle (cons. 7).

On observera que, ce faisant, le Conseil esquisse ce qu’il a fait de manière plus caractérisée dans la décision, du même jour, sur la constitutionnalité de la garde à vue (Cons. constit. n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 M. Daniel Walburger et autres, Actualités droits-libertés du 7 août) en utilisant la notion de changement de circonstances pour apprécier s’il y a lieu de faire évoluer sa jurisprudence et ce alors même qu’il n’est aucunement lié par sa propre jurisprudence. Qui plus est, en l’espèce, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation avaient estimé que la disposition n’avait pas été déjà formellement contrôlée dans les motifs et le dispositif d’une décision. Or, le Conseil va plus loin que cette seule exigence de l’article 23-2 2° en vérifiant si la disposition n’a pas déjà été substantiellement contrôlée ce qui érige un barrage supplémentaire à la recevabilité de la requête.

En revanche, est examinée la constitutionnalité de l’article 164 de la LME du 4 août 2008 qui a substantiellement modifié l’article L. 16 B du LPF. Mais le grief d’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif résultant de l’article 16 de la DDHC est écarté car:

- d’une part, le contribuable faisant l’objet d’une perquisition fiscale reçoit notification de l’ordonnance et se voit ainsi informée de son droit de recours et du délai imparti ;

- d’autre part, le caractère exécutoire « au seul vu de la minute » de l’ordonnance autorisant la visite et l’effet non suspensif de l’appel sont justifiés parce qu’ils sont « indispensables à l’efficacité de la procédure » et « destinées à assurer la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale » ;

- et, enfin, le requérant peut obtenir, après la visite, l’annulation des opérations de visite (cons. 8 et 9). Le nouveau dispositif avait par ailleurs été jugé compatible, par la Cour de cassation, avec les stipulations de l’article 6 § 1 de la CEDH (Cass. Com., 8 décembre 2009, n°08-21.017, Pétri ; Cass. Com., 2 février 2010, Sté Locadis, n° 09-13795; Cass. Com. 9 mars 2010, n° 09-14707).

Plus spécifiquement sur le dispositif transitoire des 1° et 3° du paragraphe IV de l’article 164 de la loi de 2008, le Conseil constitutionnel écarte :

- d’abord, de manière classique, l’atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi pénale consacré par l’article 8 de la Déclaration de 1789 dans la mesure où le mécanisme de perquisition fiscale contestée ne constitue « ni une incrimination ni une peine » (cons. 15);

- ensuite, en application d’une précédente jurisprudence (déc. n° 2010-5 QPC, 18 juin 2010, SNC Kimberly Clark, Actualités droits-libertés du 21 juin 2010), il écarte le grief de la méconnaissance des dispositions l’article 14 de la DDHCdans la mesure où elles « sont mises en œuvre par l’article 34 de la Constitution et n’instituent pas un droit ou une liberté qui puisse être invoqué, à l’occasion d’une instance devant une juridiction, à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution » (cons. 16);

- enfin, il estime que  pas une validation législative et ne porte ainsi pas atteinte au principe de séparation des pouvoirs garantis par l’article 16 de la Déclaration de 1789 (voir pour la déclinaison de ce droit, rappelé dans les cons. 17 et 18 la déc. n° 2010-2 QPC 11 juin 2010, Mme Vivianne Lazare, Actualités droits-libertés du 21 juin 2010). Certes, « incontestablement », comme le note le commentaire aux Cahiers du Conseil constitutionnel, les dispositions examinées ont un effet rétroactif. Néanmoins, le Conseil estime qu’elles visent à faire « bénéficier rétroactivement [aux contribuables ayant fait l’objet, avant l’entrée en vigueur de cette loi, de visites par des agents de l’administration fiscale] des nouvelles voies de recours désormais prévues par l’article L. 16 B du livre des procédures fiscales » et n’affectent donc aucune situation légalement acquise (cons. 19). Les « espérances » d’annulations des procédures administratives ou pénales nées de la condamnation de la France dans l’affaire Ravon (voir aussi André et autre c. France du 24 juillet 2008, n° 18603/03, Actualités droits-libertés du 2 août 2008 (2)), que le Conseil s’abstient de viser ou de citer dans sa décision, ne suffisent pas à constituer, selon les Cahiers, « des droits légitimes » faisant obstacle à l’application rétroactive. Car, selon cette même doctrine autorisée, il s’agissait pour le législateur d’éviter que « la jurisprudence Ravon ne produise pas un effet amnistiant au bénéfice de personnes suspectées de fraude fiscale » qui, comme on l’a déjà rappelé, constitue un objectif de valeur constitutionnelle.

impots_medium.1281444369.jpgLe Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution le nouveau dispositif de perquisition fiscale adopté en 2008 suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme. A ses yeux le caractère immédiatement exécutoire de l’ordonnance du JLD autorisant la visite domiciliaire et l’effet non suspensif sont justifiés par l’indispensable “‘efficacité de la procédure” dans la lutte contre la fraude fiscale. Le caractère rétroactif du dispositif transitoire est justifié le fait qu’il fait bénéficier aux contribuables ayant fait l’objet, avant l’entrée en vigueur de la loi, de visites par des agents de l’administration fiscale de nouvelles voies de recours.

Cons. constit. n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010 Époux Pipolo et autres [Conformité]


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Actualités droits-libertés du 7 août 2010  par Serge SLAMA

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