C’est en effet plusieurs histoires ; l’histoire d’une ville qui se construit sur des bases géologiques instables dues à une activité volcanique souterraine ; c’est aussi l’histoire de la vengeance d’un jeune indien vue à travers le regard froid et dénué de sentiments d’un aigle ténébreux. C’est lui le narrateur de l’histoire. Il réagit violemment à l’invasion de son monde, une vallée perdue aux confins du grand Nord, par des explorateurs peu scrupuleux. Il se crée une mystérieuse connivence chamanique entre l’enfant qui cherche à se venger du massacre de ses parents et l’oiseau qui défend son territoire. L’histoire voyage du point de vue de l’aigle à celui de l’enfant ou des nouveaux pionniers qui arrivent dans cette contrée oubliée comme les chercheurs de la ruée vers l’or du Klondike à la fin du 19e siècle.
Vous situez l’action dans la Mist Valley. Où cela se trouverait-il ?
Quelque part, loin, très loin…. En fait j’ai imaginé une mégapole s’érigeant peu à peu au milieu de nulle part, là bas, dans le Grand Nord. L’idée m’est venue de ce qui se passe aujourd’hui autour de la mer de Barents, cette régions jadis recouvertes de glaces et dont l’exploitation des ressources du sous-sol est devenue soudainement possible du fait du réchauffement climatique. Plusieurs états se disputent la propriété de ce nouvel eldorado : le Danemark via le Groenland, le Canada, les États-Unis et la Russie. Cette zone attire toutes les convoitises parce qu’elle contient du pétrole et de nombreuses autres matières premières. En fait les gens reviennent vers cette zone qui était verte il y a bien longtemps (le Groenland des vikings) avec des ambitions terribles. J’ai vu des reportages qui montrent la création de villes entières là où il n’y avait encore que de la banquise voici quelques années. Cette idée m’a donc séduit et je m’en suis servi. Mais mon histoire est le fruit de plusieurs idées comme celle-ci.
Vous en profitez pour vous adonner à l’un de vos plaisirs, dépeindre la nature sauvage, notamment la faune.
J’ai en fait toujours adoré les grands romans d’aventures américains : j’ai commencé par Jack London et J-O Curwood, puis Ernest Hemingway ou Jim Harrison et Norman Maclean. J’ai eu envie de revenir à ces atmosphères que j’ai aimées. Et j’ai toujours été attiré par la nature ; je n’ai donc fait que de me laisser aller à des penchants naturels.
Vous revenez au dessin manuel et réalisez un album case par case...
En fait après l’expérience de la 3D et des jeux vidéos, j’ai vraiment pris plaisir à revenir au dessin manuel. En même temps il ne faut pas ignorer les progrès actuels et donc je recompose ma planche dans Photoshop. Donc effectivement je travaille case par case. Je réalise chaque case à part et je la dispose ensuite sur la planche. J’utilise l’ordinateur pour des choses simples : pour composer la page et éventuellement modifier la chromie, etc. En fait si on recolle toutes les cases ensemble, cela fait bien une planche de format traditionnel. Certains dessinateurs dessinent par strips, d’autres par demi page ou page entière. Moi je préfère dessiner case par case parce que c’est plus facile de manipuler une case qu’une planche entière. C’est vraiment une approche pragmatique et non pas artistique.
On ressent que vous avez eu beaucoup de plaisir à revenir au dessin fin et réaliste.
Oui en effet. Autant il y a quelques années j’ai eu beaucoup de plaisir à me lancer dans le jeu vidéo car je voyais du monde, je découvrais de nouvelles technologies etc., autant à l’inverse aujourd’hui j’apprécie de pouvoir rester dans mon atelier pour dessiner tranquillement. Je ne dis pas que ce sont des vacances car il y a des choses à dominer qui ne sont pas piquées des hannetons. Mais « changement de pâturage réjouit les veaux » comme dit le dicton [rires]. En l’occurrence c’est un peu cela. Je ne suis pas saturé de bande dessinée. Je l’étais il y a une quinzaine d’années mais franchement plus aujourd’hui. Je suis vraiment ravi de revenir à la BD. Autant les projets de jeux vidéos étaient lourds à tous les niveaux, logistique, financier etc., autant j’apprécie de pouvoir mener un projet à terme de manière indépendante. C’est une liberté appréciable. Et puis l’exercice solitaire du dessin, sa répétition sur une longue période et en grande quantité est une discipline étrange : une sorte d’ascétisme sportif très rigoureux dans lequel on s’hypnotise et on se noie volontiers…
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© Manuel F. Picaud / Auracan.com
Remerciements à Kathy Degreef