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La Scène capitale - Pierre Jean Jouve

Publié le 10 août 2010 par Ruminances

Posté par lediazec le 10 août 2010

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Les livres sont comme les personnes : on les croise, on les regarde et on poursuit son chemin. La tête dans le guidon, on ne fait pas attention à eux. Ce n'est pas le moment de s'intéresser aux secrets qu'ils recèlent, aux misères qu'ils dévoilent, à l'espoir qu'ils suggèrent, ni davantage au bonheur qu'ils procurent. A la poésie, jamais absente, seulement négligée. Ni bien, ni mal, c'est la vie.

Envahi par les nuages ou immaculé, le ciel propose toujours une danse, qu'on accepte ou qu'on refuse, sans que nous sachions la raison. Ces temps, j'ai négligé la lecture, comme on oublie de se raser. Pourquoi ? La réponse n'est pas encore mienne. J'ai, sur ma table de nuit, une pile de livres que j'ai pris dans les rayons au hasard de mon ennui ou de mes envies pour… Plus tard, ou pour tout de suite. Chose terrible, la pile augmente, les paragraphes s'entrechoquent et vous n'êtes pas plus avancé. Un sentiment de désordre s'est installé dans votre esprit, ce qui a pour effet de troubler durablement vos pensées.

Puis il y a eu Pierre Jean Jouve et La scène capitale. Il est venu à moi comme on demande l'heure à quelqu'un, parce que l'on sent qu'elle approche…  C'est son jour. Celui où l'on attend quelqu'un ou quelque chose. Il s'est présenté à moi comme une personne qu'on retrouve longtemps après s'en être éloigné, sans savoir, au moment des retrouvailles, quel plaisir ou quelle mauvaise surprise cela vous réserve. J'avais perdu souvenir de ma première lecture. Rien de rien. Pas une image. Pas un son. Pas la moindre mélodie. Pas le moindre souvenir. A la rigueur, quelques sensations, mais sans plus. Chose curieuse, je me souviens avoir pensé en le retrouvant : ça y est, j'ai trouvé de quoi reconstituer un brin de pensée !

L'architecture mentale conduit souvent sur des sentiers sinueux et là où le lecteur, le quidam, cherche lignes droites et constructions rassurantes, conformes en tous points avec l'éducation reçue, Pierre Jean Jouve propose un ensemble de lignes courbes qui, en se croisant, tissent une toile autour et à l'intérieur de ses fantasmes, ayant pour point de conjonction nos propres hallucinations.

Pierre Jean Jouve est né à Arras en 1887 et s'est éteint à Paris en 1976. Une belle vie de poète, de romancier et de critique. Je n'ai lu de lui que ce seul livre, le dernier de son œuvre. Il fut l'ami de Romain Rolland et militant pacifiste contre la première boucherie mondiale de 14/18. Il est aussi l'ami de Stefan Zweig, de Paulhan et bien d'autres…

C'est à partir de 1925 qu'il rompt avec lui-même – autrement dit : avec son œuvre antérieure qu'il renie, orientant sa réflexion vers la psychanalyse, grâce à l'influence de sa seconde femme, Blanche Reverchon, s'y consacrant totalement jusqu'à la fin de sa vie. On le considère comme le premier écrivain français dont le travail romanesque aborde la psychanalyse en tant que sujet à part entière.

Malgré une réputation de « marginal hautain », l'homme sera de tous les combats contre le nazisme, refusant obstinément tout embrigadement. Pensée libertaire à laquelle il restera fidèle jusqu'au bout.

Trois textes forment la trame de La scène capitale : Histoires sanglantes, La Victime, Dans les années profondes.

Dans cet ensemble, le soleil n'est plus cet astre vivant faisant briller les êtres et les choses selon l'ordre qu'on connaît, mais un coloriage sous lequel vivent et s'agitent des ombres agissantes. Une mosaïque polychrome dont les facettes brillent pour attirer le lecteur vers son ultime refuge : l'univers microscopique et grouillant des démons intérieurs. L'en-dedans et l'en-dehors tricotant des  pensées pour débrouiller une histoire sans fin.

Livre magnifique qui n'est pas de ceux qu'on lit à la plage en attendant le passage du marchand de glaces. Un livre de virtuose où le mot est à l'économie et aussi à la clarté. Complexe et lumineux. Un livre dans lequel il est question des affres de la relation homme/femme. Mais pas seulement. Oh, que non ! Il serait dommage - et ô combien hâtif ! - de ne dégager de sa lecture qu'une part de misogynie. L'œuvre de Jouve la récuserait pour ne conserver que ce qui lui importe le plus : l'étude du comportement. A commencer par le sien propre.

La Scène capitale (1935-1961) de Pierre Jean Jouve, éd. Gallimard, coll. L'Imaginaire 104, 1982


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