Je viens de résoudre une énigme. Récemment, une amie poste sur son profil Facebook une vidéo de Pierre Dac répondant à Philippe Henriot. Le 10 mai 1944, en effet, le pittoresque secrétaire d'État de l'Information et de la Propagande du gouvernement de Vichy et speaker officiel de Radio Paris s’emporte contre les juifs en général et Pierre Dac, en particulier. Henriot rappelle que Pierre Dac se nomme en réalité André Isaac (1), et qu’il est le fils de Salomon et de Berthe Kahn : «Qu'est-ce qu'Isaac, fils de Salomon, peut bien connaître de la France, à part la scène de l'ABC où il s'employait à abêtir un auditoire qui se pâmait à l'écouter ? La France, qu'est-ce que ça peut bien signifier pour lui ?...». C’est vrai, ça, on se le demande... La réponse de Pierre Dac ne tarda pas, sur les ondes de Radio Londres, comme il le rappelle dans cette vidéo.
Pierre Dac conclut en évoquant la mémoire de son frère, dont la tombe est au cimetière du Montparnasse : «C'est là que reposent les restes de ce qui fut un beau, brave et joyeux garçon, fauché par les obus allemands, le 8 octobre 1915, aux attaques de Champagne. (...) Sur la simple pierre, sous ses nom, prénom et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription: “Mort pour la France à l'âge de 28 ans”. Voilà, monsieur Henriot, ce que cela signifie pour moi, la France. Sur votre tombe, si toutefois vous en avez une, il y aura aussi une inscription. Elle sera ainsi libellée : “Philippe Henriot - Mort pour Hitler - Fusillé par les Français !” Bonne nuit, M. Henriot. Et dormez bien.»
A partir de là, ce que je voulais savoir, c’était deux choses : ce qui avait été écrit sur la tombe d’Henriot, et du coup, question subsidiaire, où se trouvait cette tombe ? Et inversement, où se situait la tombe du frère de Pierre Dac ?
Elle est très discrète, cachée derrière la chapelle de Saint-André-et-Appelles, près d'Eynesse et de Sainte-Foy-la-Grande (Gironde). C’est dans cette région qu’Henriot a bâti sa carrière d’enseignant puis de politique, et où il a aussi fait fortune : il avait des vignes et un château à Eynesse. Le dessin de la tombe serait dû au sculpteur allemand Arno Breker. Vérification faite, aucune mention "Mort pour la France" ou pour qui que ce soit sur la pierre tombale, juste des plaques ajoutées par la famille ou des nostalgiques du IIIe Reich.
Restait maintenant à retrouver la tombe du frère de Pierre Dac. Comme marcher est mon ordonnance quotidienne, je file au cimetière du Montparnasse. Je passe à la Conservation, on me donne l’adresse du caveau de Marcel Isaac, soit la 30e division, Ligne 1 sud, tombe 25 Est, concession n°781 - 1882. J’y vais. C’est coton. D’abord parce que les indications données par Pierre Dac ne sont pas précises : il se trompe –sûrement de bonne foi- car pour accéder à la division en question, on n’entre pas par la rue Froidevaux. Et puis le plan a été modifié le plan depuis. Après une bonne demi-heure de recherche infructueuse, je commence à faire de l’antisémitisme primaire : «Le cimetière juif, c’est le bordel !» Je vais consulter un des gardiens, qui appelle son collègue à la radio. Arrive alors un gros gars moustachu, qui connaît justement ce bordel comme sa poche, et qui arrive l’air de dire : «A pas peur, mon Bruno, j’m’en va t’arranger ça…».
(1) Il a changé officiellement son nom patronymique pour son nom de scène en 1950.