Le développement humain est un phénomène sublime, s’enthousiasme Jonathan Weiner dans Long for the World: The Strange Science of Immortality. La rencontre d’un spermatozoïde et d’un ovule donne lieu à des divisions et à une évolution parfaitement orchestrées, débouchant sur un être prévisible et pourtant unique. Le vieillissement humain, en revanche, offre le spectacle d’une épouvantable déchéance. Nos cellules cessent de fonctionner dans l’anarchie la plus complète et les mutations s’enchaînent. Nos organes et nos os semblent se délabrer alors même que nous avons encore besoin d’eux. C’est un terrible déclin dont l’issue inéluctable est la mort.
Si nous vieillissons, c’est simplement parce que dame nature ne s’intéresse plus à nous. C’est du moins la thèse de Weiner dans ce nouvel ouvrage, une plongée dans notre triste finitude et dans les possibilités scientifiques de la contrer. Il reprend ainsi la théorie très populaire du zoologue Peter Medawar, lauréat du Prix Nobel, selon laquelle l’évolution vise exclusivement à nous permettre de nous reproduire. Ainsi, par exemple, le calcium est indispensable à la consolidation de nos os pendant l’enfance et l’adolescence. Or, une fois que nous avons trouvé un partenaire et transmis notre patrimoine génétique, notre mission est comme qui dirait accomplie. La nature se moque bien alors de savoir que le calcium sclérose nos artères au point d’entraîner des crises cardiaques lorsque nous vieillissons.
Mais pour nous, humains, ce problème est évidemment crucial. C’est pourquoi, dans son dernier livre The Youth Pill: Scientists at the Brink of an Anti-Aging Revolution, David Stipp emboîte le pas à Weiner dans l’exploration des frontières d’une science visant à contrer les effets de l’âge et à «tromper la mort». Pour autant, leurs approches sont différentes: là où Weiner dresse un portrait lyrique et presque méditatif de ces pionniers désireux d’altérer le processus d’évolution, Stipp se livre à une véritable étude journalistique de cette discipline qui a acquis une incontestable légitimité au cours des 40 dernières années. Il n’en reste pas moins qu’après avoir étudié leurs arguments respectifs, je reste convaincue qu’aucun de nous ne vivra assez longtemps pour voir la science de la longévité vider hôpitaux et funérariums.
A ceux qui arguent que le nombre actuel de personnes âgées pèse déjà assez lourdement sur nos ressources, les chercheurs répliquent que ce phénomène de vieillissement de la population est un fait établi et qu’ils souhaitent simplement permettre à chacun de rester en bonne santé aussi longtemps que faire se peut. Ce qui profite à la fois à l’individu et à la société dans son ensemble. Il est vrai qu’on a affaire à une tendance lourde. Au début du 20ème siècle, un bébé né dans un pays développé avait une espérance de vie moyenne inférieure à 50 ans. Au fil des décennies, les progrès en matière de santé publique, la généralisation de la vaccination et l’avènement des antibiotiques ont considérablement réduit la mortalité infantile, ce qui maximise logiquement les chances d’atteindre un âge avancé. Et de fait, à la fin du siècle, l’espérance de vie de notre bébé était passée à 80 ans. Comme l’écrit Jonathan Weiner, ce gain de 30 ans représente «autant que ce que l’espèce avait gagné depuis son apparition». (La limite théorique communément admise se situe aux alentours de 120 ans, sachant que rares sont les personnes qui se sont approchées de cette barre.)
Le point positif, c’est que nous sommes de plus en plus nombreux à vieillir en pleine forme, ce qui pourrait être le résultat d’une meilleure santé pendant l’enfance. Jonathan Weiner cite à ce titre la théorie qui établit un lien entre les maladies infantiles et les inflammations chroniques, important facteur de maladie. Quoi qu’il en soit, si nous vivons suffisamment longtemps, ce sont d’innombrables affections qui nous attendent au bout de la route, des maladies neurodégénératives, comme Alzheimer ou Parkinson, aux infarctus et autres AVC, insidieux et meurtriers, sans oublier bien sûr le spectre du cancer.
Les chercheurs dont David Stipp dresse le portrait s’efforcent de maîtriser les mécanismes qui causent notre déclin pour que nous puissions folâtrer jusqu’à 80 ou 90 ans avant de connaître une mort rapide. Pour sa part, Jonathan Weiner voue une véritable fascination à Aubrey de Grey, prophète, franc-tireur, excentrique et professeur à l’Université de Cambridge dont la vision est plus ambitieuse. Théoricien de la gériatrie, il met les chercheurs au défi de concevoir des techniques biologiques qui permettront à l’être humain de toucher du doigt son rêve d’immortalité.
Ce sont là deux ambitions de taille. Weiner et Stipp reviennent sur la difficulté de donner une certaine crédibilité à une discipline dont l’histoire peu glorieuse est parfois tombée dans le sordide. Au début du 20ème siècle, un spécialiste du rajeunissement pratiquait des greffes de testicules de singe sur ses patients masculins. Un de ses confrères, Eugen Steinach, voyait en la vasectomie la panacée en cas de virilité défaillante. Pour la petite histoire, on raconte que Sigmund Freud avait reçu ce traitement, tout comme William Butler Yeats (un petit coup de bistouri pour le vieillard de La traversée vers Byzance). Pour les dames, à la même époque, on recourait à l’irradiation des ovaires pour s’offrir un retour de printemps.
Toutefois, à partir des années 70, quelques scientifiques sérieux se sont lancés dans l’étude de la durée de vie d’autres espèces, soit par l’observation en milieu naturel, soit via un élevage sélectif en laboratoire afin d’identifier les gènes de la longévité. La «gérontologie comparative» étudie les tendances de vieillissement chez les animaux: elles sont extrêmement variables d’une espèce à l’autre. Les drosophiles (ou «mouches des fruits») vivent quelques semaines. Certains coquillages, comme les clams, peuvent vivre jusqu’à quatre siècles! Souris et rats ont une longévité de quelques années, même dans l’environnement protégé d’un laboratoire. On constate facilement l’état de vieillissement de ces rongeurs qui, au fil du temps, se rabougrissent et deviennent léthargiques.
Mais c’est un autre rongeur qui excite les chercheurs. Le rat-taupe nu passe des dizaines d’années à creuser des terriers sans jamais montrer de véritables signes de sénilité. C’est ce que les scientifiques appellent la «sénescence négligeable». Mais un beau jour, ils meurent sans raison évidente. Si nous, les hommes et les femmes, pouvions vieillir comme cet animal, l’industrie des cosmétiques de rajeunissement n’aurait plus qu’à se reconvertir.
Bien sûr, entre la vie animale et la vie humaine, il y a un fossé. Pourtant, il y a presque trois quarts de siècle, des recherches presque oubliées sur l’allongement de la vie ont donné à réfléchir! Dans les années 30, un chercheur en nutrition à l’Université de Cornell, Clive McCay, a mené pendant quatre ans une étude dans laquelle il a démontré que soumettre des rats à un régime alimentaire proche de la famine améliorait leur santé et augmentait considérablement leur durée de vie. Stipp en reste abasourdi: «[Ces conclusions de McCay montrent] que le rythme du vieillissement est incroyablement flexible, et qu’il est extrêmement simple de le rompre chez des animaux dont le métabolisme n’est pas si différent du nôtre».
Pendant des décennies, on a fait fi des découvertes de McCay. Mais ces dernières années, la restriction calorique (RC) est devenue la base d’un des aspects les plus édifiants de la recherche sur l’«extension de la vie». Chez de nombreuses espèces, les singes notamment, le fait d’avoir faim renforce la résistance à un certain nombre de problèmes de santé: cancers, maladies neurodégénératives et troubles immunitaires. Stipp explique que le secret des habitants d’Okinawa pour vivre si longtemps (cette île japonaise enregistre le record de centenaires par habitant) réside peut-être dans leur consommation alimentaire: légumes et poissons.
Mais ancrer ces habitudes dans les pays développés est loin d’être chose aisée: avec la restriction calorique, des populations habituées à un accès illimité à la nourriture ont du mal à supporter ne serait-ce qu’une journée en «mangeant moins». Les chercheurs se tournent donc vers des imétiques de la RC. Il s’agit de médicaments qui nous permettraient de satisfaire nos besoins alimentaires tout en déclenchant les processus moléculaires de la sensation de faim, laquelle permet de rester jeune. Ne pas se nourrir et ne pas avoir faim, c’est en quelque sorte un moyen pharmacologique d’avoir le beurre et l’argent du beurre.
Les mécanismes sous-jacents du vieillissement restent de l’ordre de la spéculation. De Grey soutient un point de vue de plus en plus admis dans le domaine du vieillissement: la cause fondamentale du «déclin» de l’être humain réside dans ce que certains scientifiques appellent une «catastrophe des déchets» [«garbage catastrophe»]. Weiner expose de façon si éloquente cette théorie qu’elle n’est que trop parlante pour quiconque est propriétaire d’une maison.
Au niveau cellulaire, les choses commencent à s’abîmer. Des dépôts de détritus se forment, entravant les mécanismes censés garder nos cellules en pleine forme.Les chercheurs qui étudient les gènes dits «domestiques», qui assurent l’entretien de nos cellules en les débarrassant des petites saletés, regrettent le mépris qu’on affiche vis-à-vis de ces gènes et de leur fonction finalement si essentielle. De Grey espère que ces découvertes déboucheront sur la création d’une sorte de solvant moléculaire permettant d’éliminer les détritus.
Mais tout ceci reste encore très hypothétique!
Voilà qui nous amène à la «pilule de jouvence», ce produit pharmaceutique de prolongement de la vie dont parle Stipp et qui fait actuellement l’objet de recherches scientifiques. Cette pilule pourrait nous permettre de rester jeunes en simulant les effets de la RC et en maintenant l’activité de l’«équipe d’entretien de nos cellules». Stipp raconte avec moult détails les travaux de la société Sirtris Pharmaceuticals, qui ambitionne de commercialiser les sirtuines, une nouvelle classe d’enzymes découverts récemment.
On pense que ces enzymes empêchent l’ADN des cellules d’être abîmé et qu’elles réparent les mutations qui s’y opèrent. (Le resvératrol, une substance présente dans le vin rouge, active apparemment les sirtuines dans le corps.) Il aborde ensuite le cas du Sirolimus, un imunosuppresseur utilisé chez des patients ayant subi une greffe. Ce médicament a permis d’allonger la durée de vie de certains animaux de laboratoire.
Alors que j’avançais péniblement dans ma lecture, de plus en plus convaincue que Sirtris ne trouverait pas la solution à la fatalité humaine, le livre de Stipp semblait lui aussi perdre de sa fraîcheur, amassant un tas de données superflues.
Weiner qui, en plus d’une belle plume, a le don de rendre la science limpide, offre une agréable lecture. Mais hélas, lui aussi finit par s’embarquer dansune longue méditation philosophique sur le sens de l’immortalité (une question dont les chapitres précédents m’ont laissé penser qu’elle ne méritait guère qu’on y consacre notre temps limité). Et puisque même Weiner ne croit pas au rêve d’Aubrey de Grey, celui d’une longévité humaine de plusieurs centaines voire de milliers d’années…
… J’ai décidé de continuer à m’abreuver de café et de vin rouge. Et de ne pas renoncer au chocolat noir! Ces aliments contiennent en petite quantité les produits chimiques susceptibles d’activer chez moi un processus anti-âge. Si c’est insuffisant pour me permettre, comme dit De Grey, d’«échapper à la vélocité» du temps, ils rendent ma vie – aussi courte soit-elle – un peu plus savoureuse.
Slate
Emily Yoffe
Traduit par Micha Cziffra
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