L’espace intérieur du livre joue sur la coupure, la page de gauche dispensant
de brefs énoncés en italique où le lexique de la représentation emprunte sur le
mode conditionnel aux arts visuels, crée un contrepoint, un effet de sourdine,
un accompagnement :
Ce serait comme des
négatifs (12)
Ce serait comme des négatifs
des images des tirés à part (18)
Ce serait comme des images des
tirés à part des tableaux (30)
Ce serait comme un film
qui revient (34)
Ce serait comme le film
continu d’un paysage (104).
Tandis que la page de droite abandonne l’italique et reprend le dernier
fragment pour incipit d’un texte qui devient parole sur les lèvres du
jour :
Ce serait comme une aquarelle
Un frôlement
une
échancrure
Ce
qu’il faut de douceur (52)
Ce qu’il faut de douceur pour ouvrir un corsage
et dans les mains le souvenir comme on ouvre une lettre
(…)(53)
Cette respiration des signes porte la douleur d’un deuil qui inaugure le
travail d’écriture :
quelques pages ici pour être encore un peu avec lui
garder avec précaution un peu de jour aux lèvres (15)
Deuil dont la présence sera bordée par une mémoire qui pousse à rester en vie,
gardant le souvenir de sensations précieuses, cherchant « une clé pour
l’inhabitable » (11). Avec cette question initiale empruntée à
Camus : « Comment consacrer l’accord de l’amour et de la
révolte ? » Et, au terme du parcours, cette réponse :
dans le silence de ce lieu vacant tu te dis que vraiment
écrire c’est
s’accompagner (153)
Dans l’intervalle, le deuil se poursuit, le jour devient du désir l’anagramme:
tu remets du rouge la couleur du désir sur ta bouche tu ne peux oublier
la ferveur des fontaines la douceur d’un prénom dans la nuit (110)
Cette présentation n’entre pas dans le détail d’un texte qui revient sur
lui-même, disposant ses énoncés comme les pièces d’un mobile, qu’il déplace et
réinstalle - montage qui emprunte au cinéma, au collage pictural ou musical. Avec,
au retour du thème, un effet lancinant, hésitant…
par Marie Séjourné
Mireille Fargier-Caruso
Un Peu de jour aux lèvres
Paupières de terre, 2010
16 €