Vous en avez pas un peu plein les couilles vous aussi des débats, articles et reportages sur l’immigration, l’intégration et tous ces trucs là ? Ça vous dit d’entendre un témoignage qu’on entendra pas chez Pernaut (ni ailleurs, d’ailleurs) ? Ouais ? Alors venez donc partager un beriani avec Nicolas Georges et son daron.
« Alors Nico, quoi de neuf ?
- Ben écoute, ça va, ça se passe. Et toi ?
- Ça va, ça va. Il y a ton oncle Yukana qui arrive bientôt.
- Ah, bien ! Mais il est où là ?
- Euh… En Allemagne.
- Mais il est plus en Jordanie ?
- Nooon. Ça fait longtemps qu’il s’est cassé de là bas. Il était revenu en Irak puis là, il était bien obligé de retrouver sa femme et les enfants là bas.
- Putain, il est vraiment fou, lui…
- Mais oui, il est niqué de la tête. Il a déserté , il a fait de la prison, abandonné sa famille, ton Grand-Père a du payer pour pas qu’on l’exécute… Enfin tu le connais.
- Et toi, au fait, ils t’ont jamais emmerdé parce que t’es parti avant de faire ton service ?
- Qu’est-ce qu’ils auraient pu faire ? J’étais loin… Ils ont du me chercher un moment puis après c’était fini. Ce sont tous des ânes là bas de toute façon.
- C’est bien en 79 que t’es arrivé ?
- Oui voila, juin 1979. Je ressemblais à Travolta à l’époque. Un mec en scooter me l’avait dit dans la rue, une fois.
- Ouais, le brushing… Même si tu avais fait ta famille ici, t’as jamais voulu te réinstaller en Irak ? Je veux dire, ne serait-ce qu’y penser ?
- Non, pourquoi faire là bas ? Aujourd’hui, je suis plus français qu’irakien. Et puis je suis bien ici. C’est vrai, la France m’a tout donné, une formation, un travail, une vraie vie.
- Ouais…
- Tu vas te foutre de ma gueule, mais si je m’écoutais, j’embrasserais le sol tous les matins.
- Quand même, Papa… Je comprend ce que tu dis mais tu ne crois pas que, de vivre ici, ça t’as coupé de tes racines, d’une partie de toi ?
- Peut être…
- Ben ouais, tu vois, moi je suis content et fier d’être le fils d’unI rakien, d’un Assyrien mais, putain, je n’ai rien de cet héritage là. T’as jamais voulu nous apprendre l’araméen…
- Ça t’aurait servi à rien. On allait pas s’emmerder juste pour que tu tchatches le coup avec tous ces cons, là, qui sont ici.
- Nan mais c’est pas que ça…
- Et puis je voulais pas. Votre mère est Française, moi aussi je l’étais quand je vous ai eu. Vous êtes français, nés ici alors vous deviez parler la langue, sans accent ni rien, pas comme vos cousins.
- D’accord, mais quand même, il y a un juste milieu, non ?
- Je sais pas Nico, j’en sais rien… Tu sais, moi je suis arrivé ici, j’ai voulu respecter mes valeurs : quand quelqu’un t’invites chez lui, tu te comportes d’une façon convenable dans sa maison. Là c’est pareil. En venant ici, je savais que c’était un nouveau départ, que je devais faire des sacrifices et ça me va. Je regrette rien, c’est comme ça. Regarde quand on est allés voir ta Grand-Mère en 97, tu te sentais chez toi ? Tes cousins te demandaient de ne pas dire de mal de Saddam dans la rue, tu faisais la tête parce qu’il n’y avait que du Pepsi et tu ne comprenais rien à ce qu’il se disait.
- Ben oui mais j’étais jeune… Et c’était déjà trop tard pour moi.
- Non, vraiment, j’ai fait tout ce qu’il fallait comme il le fallait.
- Mais quand même, je pense que ça aurait pu se passer différemment. T’étais pas forcé de faire tout ça pour t’intégrer. Par exemple, pourquoi t’es allé changer ton nom ?
- Ils acceptaient pas le prénom Farid à l’époque, alors qu’aujourd’hui tu peux t’appeler Mahmoud, ils s’en foutent…
- D’accord, pour les papiers, mais pourquoi tu as dit à tous les gens que tu as connu ici que ton prénom était Fred ? Pourquoi pas Farid ?
- Parce que Farid c’était fini. Sur le papier, mon nom c’est Frédéric Georges alors voila, c’est tout. Les gens qui me connaissent d’avant m’appellent toujours Farid mais pour les autres, c’est con.
- Non, ce qui est un peu bête, c’est de t’être obligé à changer jusqu’à ton prénom pour t’intégrer ici alors que c’était même pas la peine…
- Je sais pas. Tu veux un café ? »