Quelques jours après mon petit mot sur le film, j’ai laissé à Esther l’honneur d’inaugurer l’année cinéma 2010. Est-ce juste de laisser un quelconque privilège à une fillette si étrange et dangereuse ? Pas sûr. Seulement, qui lui refuserait l’hospitalité, elle qui est si douce, si appliquée, bien élevée et créative ? On serait un monstre de ne pas le faire. La famille Coleman cherche justement à adopter une petite fille, pour surpasser la douleur de la perte du dernier enfant, malheureusement mort-né. Vite acceptée dans la famille, Esther n’a plus qu’à déclencher sa petite mécanique de destruction de l’intérieur. Une montée en puissance diabolique de deux heures qui ne fait pas mentir la catchphrase : oui, quelque chose ne va pas chez Esther…
A son adoption, la fillette de neuf ans arrive dans une famille mal en point. Toujours marquée par la perte de son enfant, Kate est envahie de fréquents cauchemars autour de ce triste évènement, et vit avec le souvenir de l’alcoolisme qui s’en est suivi. John, son mari, montre son soutien comme il peut mais n’a pas tout à fait confiance en la stabilité de sa femme. Du côté des enfants, Daniel est un jeune adolescent gentiment en crise, qui montre une fausse indifférence à tout et un besoin de rupture avec ses parents comme tous les autres garçons de son âge. Max, elle, est une fillette sourde et muette adorable qui va vite bien s’entendre avec Esther. Venue d’un orphelinat russe, la jeune fille aux rubans étonne vite par la maturité de ses propos et de son comportement. Elle dit être différente, s’habille avec de jolies robes, peint avec talent : une fillette modèle ? En tous cas, tout semble indiquer que la famille Coleman va pouvoir repartir du bon pied. La première partie du film présente tout ce monde d’une manière efficace et sans trop de blabla. On entre sans déplaisir dans ce foyer possédé par le passé, et les acteurs convaincants contribuent à faire ressentir ces douleurs et cette envie d’aller de l’avant. Tout pourrait s’arrêter là, si la charmante Esther ne commençait pas à se comporter de façon étrange.
Peu à peu, ce visage d’ange se fera menaçant suite à des brimades reçues par la camarade de classe moqueuse de service. Quelle idée de provoquer Esther ? Elle ne sait pas à qui elle a affaire… De petites étrangetés en vrais mauvais coups, la suspicion monte chez le spectateur et surtout chez Kate. Malheureusement, ses inquiétudes ne sont pas partagées… Ni son mari, ni même sa psychologue ne la soutiennent. Comment une si belle enfant pourrait être dangereuse ? Diviser pour mieux régner : telle est la devise de cette petite peste machiavélique. Ce sera à Kate de faire son enquête sur les véritables origines de la surdouée de l’Est. A partir de là, j’ai été scotché jusqu’à la fin du film. Un déclic avait lancé la machine infernale du thriller jusqu’à la brutale conclusion. L’attaque de l’école n’était qu’une exception : le courroux d’Esther se centrera progressivement sur le foyer Coleman. Quand la source de tous nos maux patiente dans nos propres murs, l’incompréhension et la violence sont notre seul quotidien. Sans mettre de gants, le scénario grimpe dans la cruauté et la folie, poussant le personnage de Kate, toujours très fort, dans ses derniers retranchements. Esther manipule, Esther provoque, Esther est maline : ses stratagèmes sont implacables, surtout quand elle s’aide d’une discrète alliée…
Petite et manipulable, Max subira l’amitié intéressée d’Esther qui l’utilise pour arriver à ses fins. Sa capacité de lecture sur les lèvres permettra notamment d’espionner les conversations… Le suspens du film se situe finalement à deux niveaux : la découverte du secret d’Esther, et l’inconnue de la rupture ou du respect de la loyauté que ses victimes lui témoignent. Saluons au passage la performance de la petite Aryana Engineer, malentendante dans la vraie vie, qui arrive à bien rendre son impuissance et son effroi face aux actes stupéfiants d’Esther. Evidemment, comme beaucoup l’ont dit à juste titre, c’est Isabelle Fuhrman, douze ans, qui explose dans ce film : sachant aussi bien se montrer tour à tour parfaite, menaçante et enragée, l’américaine montre une certaine maîtrise qu’elle souhaite selon ses propres déclarations continuer à exercer dans le futur. Il va sans dire que je lui souhaite une longue carrière tant sa prestation m’a convaincu et fasciné. Il y a bien un ou deux personnages moins convaincants, comme le père et la psychologue dont la naïveté semble parfois excessive ; si le père fait incontestablement une fixation sur le passé de Kate et n’arrive plus à la soutenir (cf. La chambre de l’enfant d’Alex de la Iglesia), la thérapeute est une professionnelle qui devrait avoir un jugement plus profond. En dehors de ça et du personnage de la mère de Kate, pas forcément utile, tout roule.
Visuellement, le film m’a convaincu, et j’ai été étonné de lire dans le dernier numéro de Mad Movies qu’il n’était pas prévu de tourner dans la neige. L’hiver a commencé avec plusieurs semaines d’avance, explique le réalisateur espagnol exilé à Hollywood, Jaume Collet-Serra (La maison de cire). C’est d’autant plus étonnant qu’un lac gelé a une certaine importance dans le scénario. Ces étendues blanches offrent évidemment un écho intéressant à l’image de pureté qu’a Esther au début du film, image que l’on ressent également à travers la clarté de son teint. Sa jolie chambre de princesse accentue aussi ce fait ainsi que l’opposition avec ce qu’elle est réellement. J’ai beaucoup apprécié le gimmick que vous avez peut-être découvert en voyant l’affiche alternative du film : cette face bleu/rose intriguante et effrayante… Efficace et assez terrifiant. Parlons-en, de la peur : un des défauts du film est l’utilisation souvent inutile de jump scares ne menant sur rien, qu’il aurait été plus logique de placer dans la deuxième partie du film, histoire de souligner la paranoïa qui habite les protagonistes. La peur ici se situe surtout dans la crainte des prochains actes violents d’Esther. On comprend vite qu’elle ne se fixe pas de limites pour arriver à ses fins, et tout peut arriver…
Ma conclusion va sans hésiter vers le conseil positif : Esther est un bon film prenant, avec des acteurs convaincants dont une petite surdouée, et une fin surprenante qui fait réfléchir sur tout le film et le rend pour le moins pervers. Je vais d’ailleurs dire quelques mots sur ce dénouement, vous êtes donc priés d’arrêter de lire et de vous rendre au cinéma VO le plus proche au lieu de vous spoiler tout le film ! Pour croire au twist d’Esther, il me paraît indispensable d’opérer une petite suspension d’incrédulité (merci aux forums Mad Movies pour la découverte de ce concept), je ne suis pas médecin en pathologies rares mais j’imagine qu’un tel problème de croissance ne peut pas empêcher le visage de vieillir. Esther a encore le visage de porcelaine d’une enfant de 9 ans. Certes, après son rejet par John, les maquilleurs ont fait du bon boulot pour la vieillir quelque peu (sans compter l’histoire des dents), mais ce n’est pas complètement réaliste. En revanche, ce choix est intéressant au niveau psychologique car on peut avoir pitié d’Esther qui est juste une femme frustrée et rejetée qui souffre et a transformé cette souffrance en haine. Je n’avais pas totalement senti cette révélation mais la préférence évidente d’Esther pour John au lieu de Kate me posait question durant la projection. Mon seul regret est de n’avoir pas eu droit à une authentique fillette tarée, ce qui aurait été encore plus déviant, évidemment à cause de la scène pédophile. Certains ont reproché aux scénaristes de n’être pas allés assez loin, un peu comme Terry Gilliam qui prend le risque dans Tideland tout en plaçant ce début de romance entre une fillette vrillée et un handicapé mental. Cependant, même malgré ça, le film reste violent et la scène avec le père ne perd pas de son efficacité. Notez qu’une fin alternative que je n’ai pas encore visionnée est disponible sur le Blu-Ray américain.