ETATS-UNIS
Editions de l'Olivier, 2004
Incontestablement l'un des grands livres de ces dernières années ! J'avais découvert Rick Moody il y a quelques années avec des récits tragi-comiques de l'Amérique
contemporaine, Purple America et Tempête de glace.
Je le redécouvre aujourd'hui dans une autobiographie/fiction magistrale avec pour arrière-fonds une réflexion sur l'identité de l'Amérique. Le ton est sérieux, réflexif, parfois mélancolique et
vindicatif. En faisant référence à un texte phare qui marque la naissance de la littérature américaine, Le voile noir de Nathanaël Hawthorne, il livre une réflexion sur la nature de
l'autobiographie et sur la mentalité américaine.
Le propos est très ambitieux : à quarante ans, Rick Moody décide d'écrire ses mémoires sans rien taire : il révèle alors son passé d'alcoolique, ses hallucinations,
ses obsessions et son penchant pour la dépression à travers son internement volontaire dans un hôpital psychiatrique dans sa jeunesse.
Parallèlement, il intercale des chapitres généalogiques où il se découvre une descendance lointaine avec le pasteur Joseph Moody qui a inspiré la nouvelle de Hawthorne : un pasteur puritain de la
Nouvelle-Angleterre du début du XVIIIe siècle se voile le visage, accablé par la mort accidentelle qu'il a causée dans son enfance.
En examinant sa descendance, il va ainsi ainsi tenter de comprendre pourquoi il est accablé par un fort sentiment de honte et de culpabilité. Lui-même va
tenter de porter le voile pour comprendre sa véritable nature, d'où remonte sa mauvaise conscience, personnifiée dans un magnifique passage par un personnage fantômatique encapuchonné.
Les passages purement autobiographiques alternent donc avec des passages plus philosophiques sur le texte du voile noir et l'histoire des origines de l'Amérique et de la famille de Moody. La
petite histoire rejoint la grande Histoire pour théoriser une identité américaine : l'empreinte de la faute originelle, la mauvaise conscience et ce depuis l'éclosion de l'Amérique puritaine.
Tout le texte est une métaphore pour tenter d'expliquer le pourquoi du voile : la mystification, le mensonge, la dissimulation, tout cela étant inhérent à la mentalité américaine.
On retiendra la magnifique conclusion vindicative sur le noir, la véritable couleur de l'Amérique, déclinée sur quatre pages ; un véritable coup de point, un tour de force stylistique !
En mêlant Histoire et sa petite histoire, Moody livre également une réflexion sur la nature de l'autobiographie, du texte littéraire certes non révolutionnaire, mais magnifiquement écrite : tout
livre de mémoire est une fiction, une narration construite, un récit voilé, une mystification (d'où la réflexion sur le voile). De magnifiques phrases mêlent l'identité aux rêves, aux
légendes, aux mythes :
" La généalogie est un rêve, tout comme la famille, avec tout le langage du rêve qui l'accompagne, et la félicité que procure la généalogie naît lorsque le rêve est
multiple et protéiforme. La félicité naît lorsque votre lignée et son origine mythique se fondent avec la mienne et que nous tombons d'accord suer l'essentiel ...Puis la généalogie devient
baroque et romantique, mieux c'est. J'aime les repas brûlés sur les feux de camp de mes ancêtres, leurs trousses de couture, le genre de chaises qu'ils utilisaient, les gens qu'ils tuèrent, parce
que mon initiation à la famille me vient d'un vendeur de voitures, et que c'est la fantastique langue du peuple qui me parlait"
Le voile, la dissimulation, la noirceur au coeur de l'Amérique. Un texte primordial qui vous prend aux tripes. Le tout livré dans une écriture magistrale alliant réflexion et poésie.
CE LIVRE FAIT ASSUREMENT PARTIE DE MES COUPS DE COEUR DE L'ANNEE (voire plus !)