Comme (trop) souvent à la Maison Européenne de la Photographie, c’est dans la petite salle en bas, après vestiaire, toilettes et café, qu’on trouve l’exposition la plus intéressante (jusqu’au 29 août). Cyril Porchet, un récent diplômé de l’ECAL à Lausanne montre des grandes images d’autels d’églises baroques, images frontales, symétriques de ces décors splendides où l’oeil ne sait où se fixer tant l’ornementation, la dorure, les décors sont imposants et saturent la vision (Séduction; 2009). On a d’abord comme un vertige, et l’aplat photographique contribue à cette perte de repères. C’est Jean-Noël Schifano, je crois, qui racontait l’impossibilité de photographier San Gregorio Armeno à Naples. Je ne sais s’il était bien nécessaire de rameuter Guy Debord ici, mais il est certain que l’Eglise au temps du baroque veut ainsi reconquérir les âmes, aux antipodes des temples protestants sans décor. Dans la première église, ci-dessus (faute de légende, j’ignore si elle est italienne, allemande ou espagnole, mais je parierais pour allemande), la symétrie s’ordonne autour du cordon de suspension du lustre, d’un rouge vif au milieu de ce marbre et de ces ors, qui redonne un peu de stabilité verticale à ce maelstrom.
Ensuite, on peut aller voir les vidéos d’Holger Trülzsch au sous-sol, souvent filmées au plus près des corps, comme ‘Chimères’ où des femmes tournoient sans fin, ou Aphrodite (2009) où la déesse émerge de la mer dans un éblouissement solaire, mais c’est trop direct, trop primaire à mes yeux. Je ne suis guère fasciné non plus par le travail d’Aki Kuroda présenté ici, donc montons dans les étages.
Les époux Anna & Bernhard Blume sont des photographes de renom, adeptes du burlesque, de la critique et du détournement du quotidien. Ils montrent ici leurs travaux au Polaroïd, distrayants, mais manquant pour la plupart de recherche, de sophistication esthétique. Par rapport à ce qui était montré à Arles, ces polaroïds-ci semblent plastiquement bien moins intéressants. Le discours sous-jacent, très construit, sur la perception, la vérité photographique, la “subversion polaroïdale du réalisme photographique” méritait mieux. Toutefois, certaines des images retravaillées, redécoupées pour s’inscrire dans des polygones aberrants où le motif (ici Bernhard Blume) s’écrase et se contourne (Sans titre, Le principe de cruauté, 1989), démontre parfois une recherche plastique à la hauteur de la recherche théorique des deux photographes.
Enfin, j’attendais beaucoup de la ‘Photographie de la nouvelle Russie’. Après les avant-gardes et la chape de plomb communiste, où est l’explosion créative russe aujourd’hui ? Vous aurez plus de chance de la découvrir, entre autres, chez Taiss qu’ici : cette exposition-ci montre essentiellement des photographes russes rattrapant leur retard, que ce soit en photo documentaire ou journalistique, en photographie de mode ou en photographie ‘artistique’, on a souvent le sentiment d’être dans la France des années 70/80, portraits de famille, mises en scène autour d’une robe ou d’un chapeau, vues de manifestations, ironie incongrue de cuisiniers jouant au golf, ou rêve absurde et gentillet d’une lune privatisée. La seule exception, à mes yeux, est Olga Chernysheva, dont je remarque d’abord un beau travail sériel en noir et blanc en lightbox, Rue de rêve : dans des paysages entre banlieue et campagne, des barrières, des grilles faites de bric et de broc, composées de panneaux, de montants de lit, un travail sur la fermeture, sur la limite, sur l’enclos. Dans une autre salle, au milieu d’insipides photos de mode, je m’arrête devant cinq photographies de bonnets en laine, vus de dos, objets ordinaires sortis de leur contexte, rendus mystérieux comme des roto-reliefs : suis-je vraiment surpris que ce soit la même photographe ? (En attendant le miracle III)
Photos courtoisie de la MEP, excepté Olga Chernysheva (1 et 3 de son site, 2 de l’auteur); Trülzsch et les Blume étant représentés par l’ADAGP, les visuels seront ôtés du blog à la fin de l’exposition.