Depuis ses débuts, on connaît le goût de Manuel Poirier pour les films “simples”, lumineux, sans chichis ni artifices.
Le Café du pont est de ceux-là. Une chronique intimiste, douce et nostalgique, articulée autour de la vie d’un petit bistrot d’Escatalens, au coeur du Tarn-et-Garonne, de l’occupation jusqu’à l’immédiat après-guerre.
Ce petit café est tenu par Maurice et Claudia (Bernard Campan et Cécile Rebboah, tous deux très bien) de braves gens qui travaillent dur pour assurer le bien-être et l’éducation de leurs enfants, Pierre et Jean.
Ils traversent la peur au ventre la période de la fin de l’occupation, avec des soldats allemands sur les nerfs et prompts, sous l’emprise du petit “fin blanche”, à zigouiller le premier venu, fût-il l’aubergiste qui leur sert à boire…
Puis, avec la libération, les français ont envie de faire la fête, de s’amuser, danser et profiter des petits plaisir de la vie… L’activité du café s’amplifie, obligeant le couple à redoubler d’efforts, au détriment de leur sommeil et de leur santé…
Un jour, ils seront obligés d’arrêter ce rythme fou, de vendre le petit bistrot et de commencer une nouvelle vie, plus calme. Mais en attendant, les enfants profitent au maximum de ces années bénies, découvrent la vie, ses petits drames et ses grands bonheurs… L’observation des clients au comptoir et les promenades champêtres – cueillette de champignons ou pêche aux écrevisses – constituent pour eux une bien meilleure école que l’enseignement prodigué par un instituteur sadique, adepte d’un apprentissage par les coups de règles sur les mains… Le petit Pierrot ne le sait pas encore, mais ces années vont forger sa personnalité et influer sur son avenir…
Le Café du pont, c’est juste cela. Pas d’intrigues tortueuses aux rebondissements spectaculaires, pas de comique facile ou de mélodrame tire-larmes… Simplement des petits moments de vie mis bout à bout, amusants ou émouvants, touchants par leur justesse et leur authenticité.
Enfin presque… Car comme le précise le texte du générique, ce film est “librement adapté” du livre autobiographique “Le Café du pont” (1) dans lequel le chanteur et écrivain Pierre Perret raconte ses souvenirs d’enfance.
Si les noms des protagonistes correspondent bien à ceux du chanteur et des membres de sa famille, et si les éléments biographiques (apprentissage du saxophone, par exemple) sont également authentiques, le cinéaste a cherché à gommer toute référence trop directe au célèbre chanteur. Par exemple, en n’utilisant aucune de ses chansons, et en faisant appel à un autre compositeur pour la musique du film. Au grand dam du principal intéressé…
Pierre Perret a paraît-il été fort dépité par ce film, dans lequel il dit n’avoir pas retrouvé l’ambiance et la truculence de son livre, ni les personnages hauts en couleurs et les discussions animées qu’il pouvait y avoir à l’intérieur du café (2).
Il s’est dit “déçu”, “trahi” et même “catastrophé” par l’adaptation de Manuel Poirier.
Aïe ! Voilà qui ne va pas aider à promouvoir le film… D’autant qu’à côté de Pierre Perret, qui regrette qu’un cinéaste comme Jean Becker ne se soit pas emparé de son oeuvre pour en faire un film “à l’ancienne”… (euh… pas sûr que ce soit une bonne idée, ça…), certains pisse-vinaigre déplorent justement l’inverse, crachant sur le charme bucolique du long-métrage, son côté “image d’Epinal” un peu naïf et nostalgique.
Bon, Pierre Perret et ces critiques n’aiment pas cette version cinéma du Café du pont, pour des raisons à géométrie variable. C’est leur droit…
Mais, il convient maintenant de remettre le film dans son contexte, d’expliquer les intentions du cinéaste et leur pertinence…
Manuel Poirier a décidé d’adapter cette histoire au cinéma, non par idolâtrie pour le chanteur, mais parce qu’après plusieurs films traitant d’errance, d’exil et d’enfance difficile, il a souhaité mettre en scène l’histoire plus simple et plus heureuse d’une famille unie, d’un petit garçon évoluant entouré d’affection…
Conscient qu’il est difficile de reconstituer de façon pleinement fidèle une oeuvre littéraire, et à fortiori quand il s’agit de la retranscription de souvenirs intimes, le cinéaste a cherché à prendre ses distances avec le chanteur, justement pour ne pas risquer la trahison de l’oeuvre originale.
Non, il ne s’agit pas exactement de la biographie de Pierre Perret, même si ses admirateurs retrouveront dans le film les éléments fondateurs de sa personnalité attachante : Son amour des plaisirs simples, de la bonne chère, des rencontres entre copains autour d’un bon verre de vin… Son intérêt pour l’argot de bistrot ou le parler des vieux métiers, dont les représentants s’arrêtaient tous pour boire un p’tit canon avant d’aller au boulot… Et, bien sûr, sa passion pour la musique populaire et son côté coquin et malicieux…
Evidemment, cette reconstitution ne peut être parfaitement fidèle aux souvenirs du chanteur, qui ne peut être que déçu. Mais ne lui en déplaise, ce film lui ressemble un peu, comme il ressemble à ses chansons, mélange de légèreté et de gravité, de malice et de tendresse…
Quant au style adopté pour raconter cette histoire, il correspond depuis longtemps à celui de Manuel Poirier, qui refuse le spectaculaire et l’émotion facile pour mieux toucher le spectateur. Il cherche à capter de petits instants rares, des choses très volatiles, susceptibles de résonner en chacun de nous… Pour toucher à l’universel…
Par cette démarche, le film prend une autre dimension, plus intéressante. Ce n’est plus vraiment l’adaptation d’un récit autobiographique, ni une tranche de la vie de Pierre Perret. Ce petit garçon, c’est moi, c’est vous, c’est n’importe quel spectateur ayant eu la chance de grandir entouré d’une famille aimante, et tous les autres, qui ont un jour rêvé de cette chance…
Le Café du pont est avant tout un hommage aux parents et aux grands-parents, qui ont façonné nos personnalités sans que l’on s’en rende compte, qui nous ont fait découvrir la vie et nous ont appris les choses essentielles, nous ont inculqué des valeurs morales et transmis une certaine sagesse tout en nous laissant exprimer notre fougue, notre trop plein d’énergie…
C’est un film qui fait vibrer nos propres souvenirs d’enfance et nous fait penser à nos propres familles…
Evidemment, chacun s’y reconnaîtra ou non, en fonction de son histoire personnelle, Certains ne seront pas sensibles à cette oeuvre qui ne repose que sur des choses ténues, fragiles, difficile à exprimer cinématographiquement.
D’autres – et nous avec – regretteront que le film manque juste un peu d’ampleur, contrepartie évidente des choix du cinéaste.
Même si Le Café du pont n’est pas un grand film, on saura gré à son auteur d’être allé au bout de sa démarche et d’avoir réussi à conter cette belle histoire, toute simple et universelle, sans jamais céder à la tentation du pathos et des grosses ficelles narrative. Un cinéaste comme Jean Becker se serait, lui, probablement vautré dans les bons sentiments et le mélo des familles, pour donner un truc sucré/écoeurant peu intéressant…
Quant à Pierre Perret, pour qui nous éprouvons une tendresse particulière – en tant que chanteur et en tant qu’homme – on a envie de lui dire “T’en fais pas mon p’tit loup, c’est la vie ne pleure pas…” et le rassurer, en lui affirmant haut et fort que le film de Manuel Poirier, bien que non-conforme à ses précieux souvenirs, n’a rien de honteux et donne même envie de se plonger ou replonger dans le livre dont il est tiré…
(1) : “Le Café du pont” de Pierre Perret – éd. Robert Laffont
(2) : voir l’article sur le site Le Parisien
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Le Café du pont
Réalisateur : Manuel Poirier
Avec : Bernard Campan, Cécile Rebboah, Sergi Lopez, Sacha Bourdo, Thomas Durastel
Origine : France
Genre : Douce France, cher pays de mon enfance…
Durée : 1h35
Date de sortie France : 04/08/2010
Note pour ce film : ●●●●○○
contrepoint critique chez : Le Monde
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