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Comment les phrases s'en vont toutes seules

Publié le 08 août 2010 par Cetaitdemainorg

" Il y avait là toute une flopée d'adolescents qui pouvaient être des fils et des filles, des neveux ou des nièces, figés pour l'éternité sur le capot d'une voiture de sport ou à côté d'un monument italien. Des tantes et des oncles en habits du dimanche et bien coiffés leur tenaient compagnie. En retrait, dans un cadre moins clinquant, l'aïeul de la famille en uniforme d'adjudant exhibait une médaille de la guerre d'Indochine."

Ces quelques lignes m'ont démontré une fois de plus que le texte, avec sa mécanique intérieure et extérieure, m'écrit autant que je l'écris. Dans la dernière phrase, j'avais d'abord choisi le mot "troupe" à la place du mot "famille" déjà employé plus haut. J'exerçais alors la pleine conscience de l'auteur qui veut éviter les répétitions. Mais, à la relecture, j'ai bien vu que quelque chose d'autre était à l'oeuvre : le texte lui même. Les mots "compagnie" et "retrait" ont tout naturellement conduit le mot "troupe" sous ma plume et, alors que je souhaitais faire de mon aïeul un cadre moyen, il est devenu un militaire. Je mets de côté le fait qu'il ait été décoré en Indochine car ce sont là des éléments liés à mon enfance et surgis plus ou moins consciemment de ma mémoire. En revanche, pour le reste, il est évident que le texte travaille à mon insu et que mes phrases s'en vont toutes seules. Ce phénomène illustre pour une grande part ma fascination de la littérature. Les mots m'échappent mais ils n'échappent pas à eux-mêmes. Voulant reprendre la main et conserver l'illusion de la maîtrise, j'ai donc repris le mot "famille" et tant pis pour la répétition. 

A méditer quand on a la prétention d'écrire sérieusement tout en sachant que c'est déraisonnable. 


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