Je réfléchissais aux mesures successives mises en place par Luc Châtel avec des conseillers du calibre du sieur Descoings, à peine ralenties par la nomination précédente de Xavier Darcos, et je me dis finalement que l'école que Sarkozy & cie démolissent à coups de bulldozers, c'est en fait celle que Bayrou avait mise en place du temps où il était Ministre de l'Éducation Nationale.
Cela me frappe particulièrement pour les lycées ; en 1994, Bayrou avait établi trois voies principales : voie générale, voie technologie et voie professionnelle. La voie générale se divise encore de nos jours en trois filières : littéraire, économique et sociale et scientifique.
L'objectif des Descoings, Sarkozy, Chatel & cie, à ce que j'ai compris, c'est d'aboutir à un tronc commun, unique, avec quelques vagues spécialités, variables, j'imagine, selon les bassins économiques.
Sauf que cet objectif amènera une réduction drastique de l'offre de formation. A vrai dire, la courte vue ne touche pas seulement la Présidence et les sieurs Descoings et Chatel ; il suffit de lire le rapport de la commission culturelle du Sénat de juin 2008 pour trouver quasiment aussi inepte. La perle, c'est la conclusion sur la hiérarchisation des filières : puisqu'il faut lutter (et pourquoi, au fait ?) contre elle, supprimons les filières. Voilà le raisonnement du Sénat. Malheureusement, ce que l'on apprend par le Sénat, c'est que la gangrène a pris de l'intérieur de longue date : cette suggestion est aussi le fait de plusieurs recteurs et de l'Inspection Générale...
L'idée aussi stupide que nocive d'organiser la découverte des enseignements par trimestre ou par semestre en seconde se trouve également présente dans le rapport du Sénat. Un beau coup qui a permis de flinguer net la plupart des options, à commencer par le grec ancien, par exemple, et de s'assurer ainsi de ne pas avoir à les financer l'année suivante.
Tiens, je me suis livré à un calcul assez simple : j'ai pris connaissance du nombre total d'élèves étudiant le grec ancien en France, et j'ai calculé approximativement ce que coûtent toutes les heures de ces élèves en une année. J'ai pris comme base 35 semaines et 3 heures par semaine. J'intègre dans mon calcul collège et lycée.
Vous vous rappelez que le budget de la communication de l'Élysée s'était monté en 2009 à 7.5 millions d'euros ? Eh bien une année de grec pour tous les étudiants hellénistes de France et de Navarre coûte moitié moins...Ce qui est bien, avec un Nicolas Sarkozy, c'est qu'on sait où se trouvent les priorités. Je pourrais me montrer plus féroce en comptabilisant les divers avantages indus dont a bénéficié un certain nombre d'individus dans la majorité et comparer à nouveau les deux sommes...
Ce qui est effrayant, c'est que l'on voit, au sein de nos élites, qu'il y a accord pour tout démolir. Je suis effaré de constater l'absence de débats en commission. Ils sont 56 membres, venus de tous les horizons politiques (ouf, il n'y a tout de même pas de sénateurs MoDem dans le lot), et ils sont tous d'accord pour uniformiser la formation au lycée.
Tiens, j'ai jeté un oeil sur la liste des individus auditionnés : ah, ben ça alors, pas de Brighelli ni de Natacha Polony dedans, comme c'est étonnant ...!
Bayrou a du gérer en urgence la réforme engagée par Lang et Jospin en 1993, et a pu, jusqu'à un certain degré, en limiter la casse. Telle que les Socialistes l'avaient engagée, cette réforme, on pouvait craindre un effondrement culturel, puisqu'ils avaient restreint le choix des options, imposant une palette limitée, réduisant la place des sciences, interdisant de facto les options culturelles (langues anciennes notamment) aux filières scientifiques. On trouvait, en fait, dans la réforme d'alors, exactement l'état d'esprit qui prévaut aujourd'hui chez Châtel, Descoings & co, à la différence près qu'il s'agit de faire en plus des économies aujourd'hui. La réforme d'alors disposait de soutiens symétriques à ceux de Châtel aujourd'hui puisque c'étaient les syndicats qui la soutenaient à ce moment-là.
Bayrou gomma largement les travers désastreux de la réforme idéologique voulue par les Socialistes en ouvrant largement à toutes les filières les différentes options. Les lycéens pouvaient ainsi, tout en commençant à se spécialiser, construire à la carte leurs formations.
Sur un point, Bayrou avait eu du flair : il avait compris que la seule manière de redonner du lustre à la filière littéraire, c'était de prendre acte du poids de la science dans l'opinion, et donc, de l'introduire dans l'étude des lettres.
Seulement, voilà, à mon avis, il n'est pas allé assez loin, et la tentative a fait chou blanc. Il ne fallait pas un saupoudrage mais une véritable filière scientifique et littéraire articulée autour des mathématiques, des lettres et de la philosophie.
De la même manière, il fallait revenir sur la suppression par la doxa socialiste de l'excellente série E et des bacs qui étaient associés à cet enseignement. Bien que peu fréquemment proposée, cette série générait des techniciens supérieurs d'une qualité inégalée. Les séries technologiques qui ont remplacé entre autres la série E ne lui sont jamais arrivé ne serait-ce qu'au petit doigt de pied.
Quoi qu'il en soit, la logique de Bayrou allait radicalement contre celle qui prévalait alors, et qui se trouve rajeunie comme sous l'effet d'une eau de jouvence par des individus différents à l'heure actuelle. Il y a 15 ans comme aujourd'hui, il y a une volonté délibérée de s'en prendre à l'excellence sous toutes ses formes, à la diversité, et d'abraser toute forme de difficultés, donc, in fine, le niveau général.
Bref, tout ceci n'est guère réjouissant : sur le fond, les Socialistes n'ont pas changé, et à droite, il n'y a pas fondamentalement de différences entre Sarkozy et Chirac sur l'éducation, la même politique est menée depuis 2002, avec simplement moins de moyens depuis 2007.
Autant dire qu'entre Villepin (un chiraquien, en somme), Sarkozy et Aubry (ou DSK ou Royal), c'est blanc bonnet et bonnet blanc. Seul Bayrou propose une vraie alternative. Je dois être honnête en admettant que c'est aussi le cas de Mélenchon, bien qu'il soit très éloigné des mes convictions politiques pour le reste.