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Les archéologues s'étonnent encore parfois du nombre de théâtres d'époque gallo-romaine que compte notre pays. Les Gaules font en effet figure d'exception, parmi les anciens territoires de l'Empire romain, pour la densité des édifices de spectacles attestés : chaque peuple en possédait plusieurs, et parfois, comme ici aux Bardiaux en plein Morvan éduen, en édifiait dans des lieux qui nous apparaissent comme très reculés. La capitale des Eduens, Augustodunum (Autun) à quelques kilomètres de là, avait pourtant son théâtre, et d'ailleurs pas n'importe lequel, puisque le théâtre de la patrie de Diviciacos est rien moins que le plus grand, non seulement de toutes les Gaules, mais même du monde romain [1]. Cependant, face aux douces montagnes du Morvan, un groupe d'Eduens a bâti cette merveille que nous admirons encore.Mais cette singularité gauloise s'explique en fait très bien : les Gaulois avaient une grande tradition, bien celtique, d'art oratoire, dont les bardes étaient les maîtres. De ce fait, la plupart des fêtes communautaires laissaient une large place aux concours de récitation : mythes, légendes, récits historiques cimentaient le groupe autour de valeurs et de représentations communes. Il est bien connu que la grande fête fédérale gauloise, qui se tenait sous l'Empire à l'Autel du Confluent à Lyon, comptait de célèbres concours de théâtre : cette tradition ne se maintint pas seulement dans la capitale des Gaules, mais partout sur notre territoire. Pour déclamer des vers ancestraux, ou de composition plus nouvelle, on se donna le cadre monumental qui seul désormais conférait la dignité nécessaire à ce genre d'exercice : le théâtre de tradition gréco-romaine. La romanisation est un phénomène complexe : diffusion des formes, des institutions, de la langue, des références culturelles, des cultes ; mais dans le même temps, les piliers même de l'identité gauloise, ceux qui imprégnaient et structuraient tous les esprits, ne furent jamais oubliés. Telle est la force du modèle impérial : il rassemble, si besoin est par la force, mais préserve les autonomies locales et se garde bien d'exiger, folle utopie portant en germe la dissolution, que les différentes parties se fondent en un même tout, que les individus renoncent à être ce qu'ils sont.Cette leçon magistrale romaine, tout comme la beauté et la force de la civilisation de nos ancêtres, n'est hélas plus d'actualité. Mélanger, réglementer, semer le désordre et la confusion dans les esprits, mais isoler les individus, tel est le triste dessein de ceux qui planifient l'avenir des décombres de la civilisation européenne.[1] Seul celui de Pompée, sur le Champ de Mars à Rome, avait des dimensions équivalentes, soit près de 150 m de diamètre.