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On pourrait me croire abandonnique, abattu, abdicataire, abîmé, abrupt, abscons ou abstrus, absolu, acariâtre, accablé, acerbe ou acéré, acharné, acide, acrimonieux, activiste, atrabilaire, déprimé, anxieux, renfrogné, jaloux, frustré, et je vous en passe : le dictionnaire recèle tant de très belles formules, pour dire cet état réactionnel aux rumeurs du monde.
Et je serais, il est vrai un peu de tout ça, mais aussi son contraire.
C’est selon les jours et les heures, et le lien que j’entretiens avec mon environnement médiat et immédiat.
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Je reçois alors ce beau message :
« Mon humanisme engagé me mettant à l'abri de toute suspicion de mollesse, le regard que je porte depuis longtemps sur la terre-mère et l'humanité m'autorisent à vous dire avec douceur et amitié qu'au lieu de vous exciter à critiquer (salir?) une démocratie certes imparfaite mais tellement éloignée des systèmes totalitaires et fascistes de tous bords et de toutes natures ayant fait, et faisant encore florès de par ce monde, vous devriez aimer votre pays, son gouvernement de droite comme de gauche, ses institutions, ses libertés qui ne sont pas le moins du monde en danger. Nous y veillons. Tachez d'être heureux ne serais-ce que pour remercier vos parents et ancêtres de vous avoir fait naitre dans ce qui ressemble plus à un nid douillet qu'à un Stalag ou un Goulag.
C'est tout le mal que je vous souhaite et me souhaite égoïstement, ayant un penchant avéré pour les sourires. »
Dont acte : nous n’en sommes pas réduits encore à la clandestinité, et, de droite comme de gauche, parce qu’il est encore quelque veilleur, ne peuvent franchir la ligne qui les conduirait en des errements contraire à l’idée de l’Homme que nous pouvons nous faire.
Veiller, serait-ce se satisfaire de n’être pas encore au-delà du miroir ? Veiller, serait-ce accepter, au nom de l’amour, toutes les tentations totalitaires qui se trament, dans le silence des cabinets ministériels ? Car tentation il y a, et, ces temps-ci, elles auraient plutôt tendance à éclater au grand jour.
Veiller ne peut donc relever d’aucune passivité. Ils furent treize à se réunir, clandestin, durant six mois, la peur au ventre. De leur réunion, par delà leurs querelles d’opinions, naquit un programme, publié sous l’élégant titre « Les jours heureux ». Leur travail, dont certains ne virent jamais le résultat, passés par les armes d’un état oppresseur au service d’un occupant devenu fou, fut porté au préambule de la constitution de ce pays, et s’y trouve toujours.
La faiblesse des veilleurs de ces soixante dernière années fut de ne pas assez rappeler les principes fondateurs de notre vie commune, et donc de permettre à la tentation totalitaire des économistes banquiers de s’infiltrer jusqu’au plus haut de l’état afin d’obtenir la revanche des collaborateurs d’hier.
L’histoire est riche de ces revirements, ses périodes les plus noires durent souvent le résultat d’une baisse de vigilance, une fois la paix, le confort et le progrès établis.
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Un message appelle, bien entendu, réponse. Le ferment de la démocratie est dans la possibilité, encore, de ces échanges souriants, où chacun peut chercher sa voie et sa voix, sans devoir plier sous le joug d’une idéologie, dogmatiquement imposée.
« Croyez, cher ami, que j'aime ce pays, et que c'est au nom de cet amour que je me sens dans la nécessité d'émettre certaines critiques dès lors qu'il s'embarque dans des directions en profonde contradiction avec son histoire.
Je le fais d'autant plus volontier qu'un de mes ancêtres, polonais apatride a fait le choix de demander cette nationalité, en référence à de grands noms de la pensée française : Voltaire et Rousseau entre autres. Il était un contemporain de Victor Hugo, a combattu, avec sa nationalité française dans les troupes de Garibaldi avant de finir ses jours aux confins de la Turquie, ce qui ne l'a jamais fait démordre de son appartenance à cette France de l'idéal des lumières.
Je me sens profondément son héritier et sali lorsque ce pays séquestre (il n'y a pas d'autre mot) de pauvres migrants sans papier, sans aucun souci d'humanité, pour les reconduire à la torture de vivre sous des cieux bien moins hospitalier que notre beau pays.
Ce sont ces aspects, qui souillent l'idée que je me fais de cette contrée, face à ses splendides paysages, qui me semblent devoir être dénoncés, car ils ne correspondent en rien, à ce que nos prédécesseurs, résistants de toutes confessions, avaient décidé d'offrir à leurs concitoyens libérés du joug totalitaire et guerrier.
Qu'à chaque seconde, mon pays claque 100€ dans des armes de destruction massive tout en cherchant à convaincre mes compatriotes qu'il n'y aurait pas un denier vaillant pour la santé, l'éducation, la solidarité me désespère.
Bien sûr, je sais voir aussi la beauté, et la foule de ceux qui s'échinent à construire autre chose, parfois du fond d'un désespoir sans nom. Mais que vaudrait ma plume si elle ne dénonçait pas l'inacceptable, au nom des beautés qu'un pays sait encore receler?
Comme vous je veille, mais ne me contente pas de cela: il me faut aussi mettre le doigt sur ce qui ne va pas pour en appeler au réveil nécessaire des consciences.
Un pays ne se forge pas, uniquement, par des élites, mais par un peuple qui se reconnaît en son ventre, et, participant à sa construction, se sent en filiation avec une histoire, et un enthousiasme. Je suis bien obligé de constater qu'en tournant le dos à sa jeunesse, en l'enfermant dans le ghetto de la précarité absolue et de la misère, notre pays se ferme les portes de l'avenir, car cette jeunesse là n'a plus aucune raison de lui être redevable de son propre devenir.
N'ayez crainte, ami : je sais encore être heureux. Simplement, les travers ont tendance à mettre un bémol à mon bonheur… »
Manosque, 25 juin 2010
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