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Admission de la théorie des circonstances exceptionnelles comme base légale suffisante (CEDH, 15 juillet 2010, Chagnon et Fournier c. France)

Publié le 06 août 2010 par Combatsdh

Abattage préventif des cheptels dans le cadre de la lutte contre la fièvre aphteuse et théorie des circonstances exceptionnelles

par Nicolas HERVIEU

En 2001, des troupeaux de moutons ont été abattus préventivement en France sur décision préfectorale dans le cadre de la lutte contre la fièvre aphteuse. Deux propriétaires de cheptels ainsi abattus ont contesté devant les juridictions administratives françaises la légalité de ces mesures ainsi que le montant des indemnisations accordées. Mais, hormis l’octroi d’un complément indemnitaire [par la CAA de Nantes, le 1er mars 2005 le pourvoi en cassation ne fut pas admis par le Conseil d’Etat en 2006], ces demandes restèrent sans succès.

La Cour européenne des droits de l’homme indique d’emblée que « les mesures d’abattage préventif d’ovins qui visaient à éviter le déclenchement d’une épizootie de fièvre aphteuse sur le territoire national s’analysent en une réglementation de l’usage des biens » (§ 36) et qu’il importe donc de placer l’examen des deux requêtes sur le terrain de l’alinéa second de l’article 1er du Protocole n° 1 (droit de propriété).

Le premier motif d’inconventionalité alléguée portait sur la légalité des mesures litigieuses d’abattage car l’ingérence au sein du droit au respect de ses biens doit reposer sur des « normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application » (§ 44). Or, alors que l’article L. 221-1 du Code rural exigeait l’adoption d’un arrêté interministériel pour fonder les mesures d’abattage, au moment des faits, seules des instructions ministérielles avaient été édictées. La Cour valide pourtant le raisonnement adopté par les juges administratifs d’appel qui ont considérés « que les mesures d’abattage étaient légales en vertu de la jurisprudence sur les circonstances exceptionnelles ». Faisant sienne la logique qui fonde cette théorie particulière (v. § 27), la juridiction strasbourgeoise admet en effet « que le caractère hautement contagieux de la fièvre aphteuse et les risques d’épizootie de cette maladie sur le territoire national constituaient des circonstances exceptionnelles qui justifiaient l’adoption, par les autorités, de mesures de sauvegarde nécessaires, et ce, sans attendre la signature d’un arrêté interministériel qui nécessitait un délai incompressible, incompatible avec l’urgence de la réponse à apporter à l’épidémie survenue dans un pays voisin » (§ 45). Le label de « base légale suffisante en droit interne au sens de l’article 1 du Protocole no 1 » est ensuite accordé à cette théorie « relative aux circonstances exceptionnelles » car les juges estiment que celle-ci repose « sur une jurisprudence bien établie du Conseil d’État » français (§47).

Les juges européens considèrent ensuite que les mesures d’abattage « n’avaient pas un caractère disproportionné» (§ 57) au regard du « but légitime conforme à l’intérêt général [qu’elles poursuivaient], à savoir la préservation de la santé publique et de la sécurité alimentaire » (§ 50). En effet, ces mesures étaient limitées dans leur objet (§ 57 - « elles ne visaient qu’une catégorie d’animaux ») et dans le temps (§ 57 - elles « n’ont été prises que le temps nécessaire pour lutter contre l’épidémie de fièvre aphteuse et protéger la santé publique et la sécurité alimentaire sur le territoire, domaines dans lesquels les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation »). Par ailleurs, en prévoyant, en général, « une égale indemnisation de l’ensemble des éleveurs ayant eu à subir des pertes liées aux mesures d’abattage » et en octroyant aux éleveurs requérants, en particulier, une somme équivalente à « respectivement 84, 5 % et 72 % du montant [du préjudice] évalué par les experts », il est jugé que « le régime d’indemnisation qui leur a été appliqué était loin d’être arbitraire » (§ 57). En conséquence, et à l’unanimité, la France n’est pas condamnée pour violation du droit au respect de ses biens (§ 59).

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Pour admettre la légalité des mesures d’abattage en cas d’épidémie de fièvre aphteuse des cheptels de moutons, qui constituent un “bien” des éleveurs,  la Cour estime que la théorie des circonstances exceptionnelle forgée par le Conseil d’Etat [Piqure de rappel pour ceux qui auraient jeté leur GAJA : CE 28 juin 1918 Heyriès et bien évidemment les incontournables  MMme Dol et Laurent (1919) “filles galantes”, dont la liberté individuelle - et la liberté du commerce et de l’industrie des débitants de boissons - a été limitée pour la protection de la troupe non de la fièvre aphteuse mais des maladies vénériennes et du syndrome Mata-Hari] constitue une base légale suffisante

Chagnon et Fournier c. France (Cour EDH, 5e Sect. 15 juillet 2010, Req. nos 44174/06 et 44190/06)

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Actualités droits-libertés du 28 juillet 2010 par Nicolas HERVIEU

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