« Fragments d’un Discours amoureux » de Roland Barthes paraît au printemps 1977 aux Editions du Seuil. Le succès est immédiat : 100 000 exemplaires vendus dans l’année. Le 26 mars 1980, Roland Barthes décède après s’être fait renverser par un camion. Entre temps, il avait accordé une interview à Alain Poirson du journal « L’Humanité ». L’article a un titre tout en justesse : « Populaire et contemporain à la fois ». [Extraits].
« J’ai toujours vu les systèmes de pensée comme des systèmes de langage et ces systèmes de langage comme des sortes de tableaux peints, un peu à la façon du voile brillant, coloré, imagé que le bouddhisme appelle la Maya. C’est cela la constante et, pour ainsi dire, l’obsession (…) Mon point de vue a changé, souvent pour des raisons « tactiques« , parce que, à tel moment, je pensais qu’il fallait déplacer le discours ambiant : vers 1960, le discours critique me paraissait trop impressionniste et j’ai eu envie, sur la littérature, d’un discours plus scientifique, ça a été la naissance de la sémiologie…
… Mais cette sémiologie est devenue autour de moi hyper-formaliste et j’ai eu envie d’un discours plus « affectif »; puis ce discours lui-même, sous le poids de la psychanalyse, m’a paru faire la part trop belle au « symbolique« , en traitant l’Imaginaire de « parent pauvre« ; j’ai donc voulu assumer un discours de l’Imaginaire. Il s’agit d’ajustements (…).
« Pour moi, la parole et l’écriture sont largement hétérogènes. Écrire ne consiste pas à transcrire; ça consiste à penser à même la phrase, à produire une pensée-phrase; et la « phrase« , c’est essentiellement un produit écrit, pour le meilleur et pour le pire. Aussi, quand on fait un livre, c’est un peu toute la pensée qu’il faut reprendre au départ : il faut penser de nouveau et à neuf ».
« Nous devons tous écrire plus « populaire« ; encore faut-il que ce tournant, ce changement de pratique et d’image soit vécu intérieurement, non comme un retour simpliste à des formes passéistes, mais comme une pensée nouvelle du moderne lui-même. Quoi qu’on écrive, il faut rester à l’écoute du « contemporain« .