Ces deux textes appellent bien évidemment de nombreuses remarques.
Tous ceux qui sont familiers avec le monde de Lovecraft auront reconnu plusieurs mots célèbres inventés par le maître de Providence, parfois déformés cependant. Le "Necronomicon" devient le "Necrominicon", "Arkham" se transforme en "Arkton" et, de façon bénigne, "Das Unausprechlichen Kulten" en "Das Inausprechlichen Kulten". Pour quelles raisons ?
En tout cas, l'énigmatique John Poleda s'est bien amusé en envoyant cette lettre, de toute évidence écrite pour se moquer des allégations de Shaver et montrer qu'il n'était pas dupe. C'était un spirituel clin d'œil aux nombreux lecteurs d'Amazing Stories qui devaient connaître l'œuvre de Lovecraft.
Quelles conclusions tirer de cette curieuse affaire ? Essentiellement l'importance des liens qui relient la littérature de l'imaginaire à l'hétéroclistisme. Il faudra bien un jour analyser ce phénomène avec rigueur et ne pas se contenter, comme je le fais moi-même avec ce modeste article, d'en souligner les aspects anecdotiques et plaisants. Imaginons un instant que, dans "Open Letter to the World", Shaver ait cité Lovecraft en plus de Merritt. À l'époque, le nom de Merritt était plus connu que celui de Lovecraft, mais quand on voit aujourd'hui l'intérêt que suscite le maître de Providence, on frémit à l'idée de ce qui serait advenu de sa réputation littéraire si son nom avait été plus intimement associé à l'affaire Shaver. Je fais donc mienne la recommandation de Michel Meurger qui pense qu'il est nécessaire, dans toute étude lovecraftienne, de distinguer avec le plus grand soin esthétique et éthique.
Joseph Altairac
(8) Raymond A. Palmer (1910-1977) créa en 1930 The Comet, peut-être le premier fanzine de science-fiction. Rien de ce qui touchait à cette littérature ne pouvait lui être étranger, les écrits de Lovecraft encore moins que d'autres.
(9) Un autre canular des plus fameux est celui commis dans le New York Sun par Richard Adam Locke (1800-1871) en 1835. Locke avait rédigé de faux bulletins d'observations astronmiques décrivant toute une civilisation de Sélénites ailés. L'affaire, à laquelle on donne parfois le nom de The Moon Hoax (Le canular lunaire), fit grand bruit Il en existe des traductions française : on consultera à ce sujet l'Encyclopédie de Versins à l'entrée "Locke".
Trois semaines avant le commencement du canular de Locke paraissait dans le Southern Litterary Messenger un texte aujourd'hui célèbre d'Edgar Allan Poe, "The Unparalleled Adventure of One Hans Pfaall" (Aventure sans pareille d'un certain Hans Pfaall), sur un fantaisiste voyage en ballon vers la Lune. En 1848, Poe tenta de renouveler un canular comparable à celui de Locke en publiant dans le New York Sun le compte-rendu d'une prétendue traversée de l'Atlantique en ballon. Ce texte est bien connu sous le titre de The Balloon Hoax (Le canard au ballon).
Est-il nécessaire de rappeler la célébrissime émission radio d'Orson Welles (1938) qui, bien que ne relevant pas vraiment du canular, n'en eut pas moins des résultats spectaculaires ?
(10) Si un lecteur de cet article possède des renseigements sur cet énigmatique John Poleda, qu'il nous écrive !
Études lovecraftiennes n° 5.