Shuehiro Maruo

Par Aaapoum Bapoum

Lui, il est trop bizarre pour ne pas être un auteur Aaapoum

On dira que je recycle, mais c’est pour la bonne cause. Et puis au mois août, avec tous les collègues en vacances, le temps disponible est réduit. Alors voici une petite critique du dernier Album de Maruo parue chez Casterman. Loin d’être le meilleur livre de cet auteur, il a l’avantage d’être plus accessible. Chez Aaapoum, vous ne le trouverez pas, mais vous trouverez tous ses autres livres, les plus sombres, les plus violents, les plus viscéraux, de cet auteur à l’œuvre étrange. Et en octobre, comptez sur nous pour vous présenter son dernier chef d’œuvre, La Chenille, adapté du roman d’Edogawa Ranpo, qui conte le retour d’un soldat japonais salement mutilé dans son village. Peut-être même une expo, ou au pire trois-quatre planches originales issues d'une collection privée, viendront agrémenter cette sortie. On vous en reparle bientôt. En attendant, la critique de son dernier ouvrage traduit en français, pour les timides, les pudiques, qui voudraient prendre la température avant d’entrer pleinement dans l’une des œuvres les plus sombres et les plus raffinées de la bande dessinée japonaise comtemporaine.

Suehiro Maruo d’après l'oeuvre d'Edogawa Ranpo L’Île Panorama. Casterman, traduit du japonais par Miyako Slocombe, 280 pages, 13,50€

L’union de Suehiro Maruo et Edogawa Ranpo relèvait de l’évidence. Le chantre moderne du manga érotique gore associé au défunt père littéraire du genre, tout le monde en rêvait. L’Île panorama, adaptation en manga du roman éponyme de 1927, transforme enfin cette aspiration en réalité. Ce paradis terrestre, création malade d’un étudiant raté que la richesse vient soudainement encourager, est le cadre parfait où célébrer le mariage de ces deux artistes rongés par les obsessions d’idéal et de beauté.

Maruo, comme Edogawa Ranpo en son temps, chante depuis toujours l’éloge d’une « beauté idéale », créé tout entière de la main de l’homme, soumise à des principes, des règles, et une finalité. Par ricochet, et là leurs œuvres s’accordent encore plus particulièrement, tout deux mettent en scène avec une pointe de plaisir pervers la destruction de la « beauté pure », cette splendeur spontanée qui fleurit où bon lui semble, insoumise au désir des hommes comme à leur volonté. L’Île panorama, Eden pantagruélique engendré morceau après morceau par un fou capable d'usurper l’identité d’un milliardaire pour financer son projet, ne parle que de cette dualité là. Et Maruo travaille à la mettre en images.

D’un coté, il flatte le devenir sublime du réel. La dentelle des pétales de fleurs, la cime accidentée des reliefs montagneux, les nervures des bois les plus rares, le plumage des oiseaux exotiques… quoiqu’il représente l’abondance du détail dans les compositions témoigne d’une précision maniaque, du choix délicat et d’une rigueur qui épousent à la perfection les préoccupations esthétiques de Ranpo. De l’autre côté, cette vision du sublime apparait comme une perversion du réel dans le regard de la beauté pure, cette femme magnifique qui prend lentement conscience que l’homme qui se tient désormais à ses côtés n’est plus celui qu’elle a épousé. L’horizon se déséquilibre, le reflet de son visage se distord sur les parois de l’aquarium… le combat entre beauté pure et beauté idéale fait rage dans le corps même de la bande dessinée. L’Île panorama, au final, manque certainement de cette perversion dans le traitement du sexe et de la violence qui fait le sel des mangas de Maruo et des romans policiers de Rampo. Mais l’adaptation promet d’ors et déjà le meilleur pour La Chenille, plus extravagant et libidineux encore, attendu avant la fin de l’année.

Chez AAAPOUM :

Vampire 1 & 2, éditions Lezard Noir

Yume no Q-Saku, éditions Lezard Noir

Lunatic Lover's, éditions Lezard Noir

La Jeune fille aux camélias, éditions I.M.H.O