Surgi du futur, Nero détruit un navire de la Fédération en laissant juste à son équipage le temps d’évacuer : le capitaine Georges Kirk y laisse sa vie mais sa femme accouche dans la capsule de leur fils, James Tiberius… L’enfant grandit comme un fils sans père et il se trouve bien près de rater sa vie quand il rencontre le capitaine Pike : grâce à lui, James finit par s’enrôler dans Starfleet et il semble promu à un bel avenir militaire, jusqu’à ce qu’il rencontre un officier vulcain qui lui met de sérieux bâtons dans les roues. Un certain… Spock.
Il ne vous a peut-être pas échappé que la mode est aux préquelles et aux reboots : c’est-à-dire des récits écrits après une œuvre donnée mais dont l’action se déroule en fait avant, ou bien des récits qui font partie d’une série d’histoires mais qui en présentent les racines d’une manière différente de celle connue jusqu’ici. L’un comme l’autre sont souvent des moyens de relancer une licence célèbre mais dont l’exploitation se trouve dans l’impasse, pour des raisons commerciales ou narratives, voire les deux à la fois ; on peut aussi y voir une façon de « faire du neuf avec du vieux » ou, plus simplement, la preuve que les scénaristes n’ont plus d’idées…
Star Trek tient à la fois de la préquelle et du reboot, ce qu’on peut considérer de deux manières : soit il s’agit de la parfaite démonstration que cette franchise agonise, soit sa longévité rend son univers difficile à exploiter pour une audience actuelle compte tenu de sa complexité soigneusement entretenue par plusieurs générations de scénaristes depuis un demi-siècle – au point que cet univers est devenu si fouillé que même les connaisseurs s’y perdent ; j’en sais quelque chose… De plus, l’âge de cette licence ne donne pas vraiment envie de se pencher dessus pour un public d’aujourd’hui habitué à des visuels et des intrigues bien plus sophistiqués que ce que cet « ancêtre » peut proposer…
Bref, il était plus que temps temps de dépoussiérer cette franchise. Toute la question consiste donc à savoir si le « ménage » n’est pas devenu un carnage – inquiétude bien légitime pour des fans plus ou moins forcément de longue date, surtout quand on voit ce que Georges Lucas a pu faire de sa saga devenue culte, celle-là même qui a d’ailleurs vite damé le pion à Star Trek dans le cœur des aficionados de space opera… De plus, la volonté des producteurs – toujours liée à des impératifs mercantiles, c’est-à-dire soucieux de toucher une audience actuelle – ne s’avère pas toujours compatible avec celle des aficionados qui ont chacun développé leur propre vision des choses au fil du temps.
En ce qui me concerne, j’ai beaucoup aimé. D’abord parce que ce film est une belle occasion de revoir l’équipage de cet Enterprise que j’ai bien connu enfant – et ceci reste un facteur non-négligeable quoi qu’on en dise. Ensuite parce que le reboot est ici orchestré à travers un paradoxe temporel, c’est-à-dire un élément narratif servant de base à de nombreux épisodes de la série TV et dont les conséquences étaient toujours résorbées par les efforts de nos héros. Ici, ce n’est pas le cas et nous avons donc bel et bien affaire à une trame temporelle différente : techniquement, du moins dans le jargon de la science-fiction littéraire, c’est ce qu’on appelle une uchronie.
C’est selon moi ce qui place ce film à part des autres tentatives de préquelles et de reboots dont beaucoup d’autres franchises se sont vues victimes ces derniers années. Car ici, le prétexte narratif qui sert de base au récit – le paradoxe temporel évoqué ci-dessus – est un élément fondamental de la licence Star Trek, et non un élément ajouté après coup pour justifier une cassure de la continuité comme c’est souvent le cas dans les tentatives de relance d’une franchise à succès ; de plus, le paradoxe temporel demeure une théorie scientifique bien assez sérieuse pour correspondre tout à fait à l’aspect « hard science » de Star Trek.
Je rappelle à ceux qui n’ont pas l’habitude de me lire que le terme « hard science » désigne des récits de science-fiction aux bases techno-scientifiques très solides, c’est-à-dire des histoires reposant sur des théories scientifiques et des possibilités techniques reconnues par les spécialistes du monde entier – et non sur des idées inventées par un auteur afin de faciliter une narration. C’est ce qui a toujours différencié Star Trek de la plupart des franchises à succès de la télévision comme du cinéma dans le registre de la science-fiction : son réalisme scientifique – et toutes proportions gardées bien évidemment, mais si on y trouve quelques erreurs elles restent en général assez mineures.
En reposant ainsi sur un élément qui est non seulement juste sur le plan techno-scientifique mais qui est aussi récurrent dans nombre d’épisodes de la franchise, Star Trek n’a pas à rougir de vouloir tout recommencer, car le choix des scénaristes est ici à la fois judicieux et fidèle. Judicieux par son réalisme, et fidèle par sa présence régulière au sein des diverses séries : c’est la parfaite exploitation d’une idée typique d’une licence en vue d’un reboot réussi.
Quant à la concrétisation proprement dite de cette idée, tant sur le plan du scénario que des images, elle reste une production artistique – c’est-à-dire une de ces créations qui ne satisfont pas forcément tout le monde…
Star Trek, J. J. Abrams, 2009
Paramount, 2009
128 minutes, env. 10 €