Quel est le rôle du père du narrateur ? Habituellement, dans le livre qui nous occupe, les spécialistes retiennent au moins trois aspects. Le père est d’abord celui qui, armé de son baromètre, se passionne pour le temps, c’est-à-dire la météo : « mon père, nous confie le narrateur, (…) examinait le baromètre, car il aimait la météorologie, pendant que ma mère, évitant de faire du bruit pour ne pas le troubler, le regardait avec un respect attendri, mais pas trop fixement pour ne pas chercher à percer le mystère de ses supériorités ». C’est d’ailleurs si important à ses yeux, qu’il juge les individus à l’aune de leur intérêt avoué ou supposé pour la météorologie. Par exemple Bloch l’ami de son fils, manifestement insensible à cette science révérée par le père, est de façon définitive, considéré comme un idiot: « Monsieur répond-il au père qui l’interroge justement sur le temps qu’il fait, je ne puis absolument vous dire s’il a plu. Je vis si résolument en dehors des contingences physiques que mes sens ne prennent pas la peine de me les notifier. » Une autre des «supériorités» du père semble aussi résider dans sa parfaite maitrise de l’espace, ce qui d’ailleurs fait l’admiration de son épouse dépourvue semble-t-il, du moindre sens de l’orientation…
Il faut comprendre que le père est au dessus du «code» et des lois qui régissent l’ordre de la maison et que Françoise se refuse à enfreindre, mais ne partage pas davantage les principes de la grand-mère du narrateur. Bref, ce qui définit l’autorité du père, c’est une forme d’arbitraire, parfaitement imprévisible et qu’il faut accepter même si ses ordres paraissent parfois injustes et contradictoires: « mon père révèle le narrateur, me refusait constamment des permissions qui m’avaient été consenties dans les pactes plus larges octroyées par ma mère et ma grand-mère parce qu’il ne se souciait pas des « principes » et qu’il n’y avait pas avec lui de « Droit des gens ». Pour une raison toute contingente, ou même sans raison, il me supprimait au dernier moment telle promenade si habituelle… ». Plus loin, il parle de cette capacité qu’avait son père non seulement à transgresser mais à le pousser à dépasser des lois apparemment immuables: « il était si puissant, dit-il évoquant son père, (…) qu’il arrivait à nous faire transgresser des lois que Françoise m’avait appris à considérer comme plus inéluctable que celles de la vie et de la mort, … ».
En somme à l’instar de Dieu, maitrisant en apparence lui aussi le temps et l’espace, le père alterne à l’égard de son fils entre des sentiments souvent opposés: colère et clémence; compassion et punition. On peut - plus modestement - rapprocher cette attitude de celle du Président exerçant son droit de grâce ou bien, celle d’un roi quelconque faisant preuve d’indulgence et de clémence à l’égard d’un condamné qui s’était pourtant résigné à subir les pires châtiments: ce faisant, il ne renonce guère à son autorité mais au contraire, la renforce aux yeux du monde.