Le coeur à marée basse

Par Ghizlane

Cela fait un petit bout de temps que je n'ai pas écrit. En fait les événements me promènent, un peu comme un coquillage roulé par les vagues et qui s'échoue sur une plage, en attente de la prochaine grande marée.

J'ai vu en quelques semaines, quelques mois, s'écrouler tous mes piliers. Ceux bâtis sur l'espoir, ceux bâtis sur l'amitié, ceux bâtis sur l'habitude, ceux bâtis sur mon petit capital pas bien gros, mais totalement investi dans une vie nouvelle. Mes fondations étaient elles trop peu profondes ? Un cycle de vie peut-il être aussi rapide qu'il emporte à la première cloche de 13 heures tous les éléments qui le compose ?

J'en connais les causes, mais je n'en connais pas le pourquoi, essentiel à toute compréhension nécessaire à la remise en question. Ici, dans le Nord de la France cette fois, je prends le temps de me poser et de réfléchir. Dans le plat pays qui ondule sous les blés d'or, le regard se perd sur l'horizon, accroché à la rondeur d'un arbre ou au vol d'un goëland.

Je réfléchis à cette campagne de diabolisation dont j'ai fait l'objet, étrange flux qui m'a environnée brutalement, comme si le vent avait brutalement tourné et pris de l'élan, s'infiltrant dans la montagne à travers les failles et me prenant à revers pour me faire tomber.

Les acteurs de l'histoire ne sont  que les exécuteurs d'une énergie sans doute venue de ces "lieux frontières" dont on ne parle qu'à voix basse et qui feront sourire les incrédules. Peu importe, les acteurs de l'histoire sont, quelque part innocents, pétris de bonnes ou mauvaises intentions,  troublés par les sirènes de la médisance ou soulevés par leurs désirs incontrôlables. On est parfois sans le savoir, l'obstacle qui empêche l'eau de s'écouler dans la rivière du monde d'autrui.

Sous les latitudes sahariennes, on parle souvent de "mauvais oeil". Cette peur est très ancrée chez les musulmans.

Lorsque mes dromadaires sont arrivés, mes amis m'ont demandé de protéger les bêtes avec du "prour" (sorte d'encens) et du henné, à cause de la jalousie que cela pouvait susciter. Lorsque mon jeune chameau Nejma a été blessé, tout le monde s'est regardé avec inquiétude. En apparence mon troupeau semblait être accepté par la communauté qui avait manifesté de la joie lors de leur arrivée. Plus tard, j'apprendrai que leur présence créait beaucoup de remous et  de tensions. Lorsque  je l'ai appris, je l'ai ressenti douloureusement. C'était le début d'une souffrance et d'une mise à l'écart progressive.

 Cette montagne concentre les envies, les malveillances, les mauvais sorts, tout comme elle génère les envolées lyriques, les extases mystiques, ou tout au moins l'admiration. Il est très difficile de garder l'équilibre en cet endroit, et beaucoup en ont fait les frais. L'intensité du paysage, l'âpreté de la vie, la présence murmurante des morts, l'étrangeté du lieu, créent un climat favorable aux excès de l'âme.

Il me semble qu'en cet endroit chaque action, pensée ou parole, doit être mûrement réfléchie. Peut-être que ma spontanéité et ma réactivité ont engendré des forces négatives, des réactions d'opposition, car j'étais dans l'idée de faire avancer les choses. A t'on réellement le droit de s'implanter dans un lieu où l'invisible est si présent ? A t'on le droit de construire dans un endroit voué à la dégradation inéluctable ? Après tout que savons nous de l'esprit de la montagne ? Je crois en ces forces naturelles dont nous ne tenons jamais assez compte dans notre civilisation.

Les blés d'or me rappellent la beauté du désert et le vent soulève mon âme. Il y a toujours assez d'espoir pour reconstruire un temple, et cela personne ne pourra me l'enlever.