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Mon jeune acteur Mehdi en prison: un immense gâchis

Publié le 19 décembre 2007 par Willy

Mon jeune acteur Mehdi en prison: un immense gâchis

Par Karim Dridi (Réalisateur)  sur  http://rue89.com/

Je voulais vous parler de mon travail en salle de montage, mais une triste nouvelle m’a fait changer d’avis. Mardi matin, le père de Mehdi (Rachitique) m’a appris que son fils venait de se faire incarcérer.

Bien sûr, ce n’est pas une grande surprise. Depuis la préparation, je savais, pour avoir rencontré son juge, que Rachitique devait purger une peine d’un mois de prison. Cet homme de loi, sensible et intelligent, avait parfaitement compris l’importance pour Mehdi de faire partie de l’aventure Khamsa. Il m’avait alors promis de tout faire pour que sa peine ne tombe pas pendant le tournage. Je pensais alors pouvoir témoigner à son procès et dire combien cet adolescent était talentueux, pour peu qu’on lui donne les moyens de s’exprimer. Son père et son avocate n’ont rien compris à la réaction de Mehdi, qui refusa la proposition du juge d’intégrer un foyer spécialisé plutôt que de rentrer en prison.

Le juge décida de l’emprisonner pour quatre jours, se disant qu’après ce court séjour dans les geôles, Mehdi changerait d’avis. En effet Mehdi changea d’avis; mais manque de chance, il passa devant un autre juge qui voyait les choses différemment et ordonna qu’il soit directement incarcéré. D’après son père, Mehdi pourrait rester un à six mois en prison avant d’être jugé.

Le seul mot qui me vient à l’esprit c’est: GACHIS! Un terrible gâchis de talent, d’énergie, de sensibilité, un gâchis de vie.


J’ai rencontré Medhi il y a deux ans, il avait alors 14 ans et n’était pas encore la grande perche rachitique d’aujourd’hui, mais déjà il brûlait d’envie de tourner dans un film. Il avait déjà eu une petite expérience de cinéma en tournant avec mon collègue Christophe Ruggia (le frère de Véronique Ruggia, la coach des enfants) et il se sentait frustré de ne pas avoir tourné plus longtemps. C’était clair que le virus du cinéma l’avait mordu et qu’il voulait se prouver et prouver au monde qu’il était fait pour être acteur.

Je fus immédiatement conquis par son désir de cinéma et par son arrogance quand il me disait "T’inquiète, je sais jouer." Dès les premiers essais, je me rendis compte que Mehdi n’avait pas menti, non seulement il jouait juste, mais il possédait une énergie et une intelligence de jeu peu communes. Dans les improvisations, Mehdi avait une imagination foisonnante; à chaque prise, il apportait quelque chose de nouveau et d’original.

Sa dégaine, ses yeux vifs et pétillant, son humour particulier et son terrible sens de la répartie, imposèrent Mehdi comme un acteur incontournable pour ma distribution.


Pendant deux ans, je suivis son parcours, je devrais dire sa chute annoncée. Chaque mois, son père me faisait le compte-rendu de ses nouvelles bêtises, si bien que je me demandais si j’allais pouvoir compter sur lui pour le tournage. Le plus dur fût de lui faire admettre qu’il devait, s’il voulait tourner, accepter de participer à un atelier pendant tout le mois d’août 2007.

Mehdi ne comprenait pas l’utilité de venir tous les jours pour faire des exercices et répéter des scènes du film. Il trouvait ce travail inutile, lui qui savait déjà jouer. Le plus difficile pour lui c’était de se lever tôt le matin et de passer toute la journée enfermé avec des jeunes gitans pour répéter des scènes d’un hypothétique film qu’il ne voyait pas venir.


Je ne vais pas vous dire que l’atelier fût une partie de plaisir, cela serait vous mentir, mais je peux vous affirmer que, sans ce travail préliminaire, jamais je n’aurais pu tourner mon film comme je l’ai fait. Sans le savoir, Mehdi m’aida énormément. Chaque jour je m’inspirais de son langage, de sa manière de parler, de jouer dans les scènes. Je dois vous avouer qu’il m’arrivait souvent d’avoir envie de l’étrangler, de le renvoyer et de trouver quelqu’un d’autre, tellement il était difficile de le diriger.

Aujourd’hui quand je vois Rachitique dans ma salle de montage, je me félicite de ne pas avoir craqué, sans lui mon film ne serait pas le même.

Je ne cherche pas à excuser Rachitique, mais je peux vous dire que ce gosse est capable de bien belles choses à partir du moment où il entrevoit la possibilité de s’exprimer et de s’épanouir dans un projet. Quand il m’écoutait parler avec Antoine Monod (le chef opérateur) de notre futur repérage dans le désert, il me demanda de lui confier un rôle. Je lui dis que cela n’était pas impossible, mais que ce tournage lui demanderait beaucoup de discipline et que tourner plusieurs mois dans le désert n’allait pas être facile. Il me certifia qu’il était prêt à tout à partir du moment où je lui faisais confiance.

L’incarcération de Rachitique me ramène à la première question que je me posais en faisant ce film: pourquoi voulais-je raconter cette histoire?

Et la réponse est aujourd’hui la même: pour témoigner de tout ce gâchis, de cette injustice qui fait que des enfants n’ont pas d’autre choix que de plonger dans la délinquance!

Rachitique est enfermé dans un EPM (établissement pénitencier pour mineurs) nouvellement construit pour répondre au problème de la délinquance juvénile.

Mehdi, je profite de cette tribune pour te dire que dans "Khamsa", tu es vraiment formidable et que, bien que le film ne possède pas les séquences d’actions, de bagarres et de poursuites en voitures contre les flics que tu souhaitais tant voir, je pense malgré tout que cela fera un bon film fort et émouvant.


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