Retour sur le début de carrière de Jose Giovanni.
Dans la tourmente qui suit l’évasion il faut pouvoir trouver le deuxième souffle. Encore faut il savoir choisir le bon. Est-ce l’idée qu’essaye de nous transmettre Jose Giovanni ancien détenu de la prison de la Santé puis de la Centrale de Melun, ancien habitué des quartiers de haute sécurité et familier pour un temps du sordide couloir de la mort ? En fait ce sujet semble obsessionnel dans le début de l’œuvre de l’auteur au parcours atypique qui se retrouva comme bombardé au début des années 60 aux places très enviées de romancier et cinéaste. L’évasion ? Et ensuite…Celui-ci sait de quoi il parle à ce sujet car il peut ajouter à son palmarès une tentative d’évasion ratée en 1947 de la prison de la Santé qui lui valut la trame du récit de son premier roman en 1958 « Le Trou » édité chez Gallimard dans la Série Noire. Son histoire à sa sortie de prison, proche du domaine du merveilleux, par l’aspect inimaginable de l’ex tolar transformé en romancier à succès, n’en reste pas pour le moins bien vrai avec la noirceur du quotidien qui l’accompagne. L’angoisse perpétuelle de l’avenir qui s’étend devant les yeux du truand repenti. « Il y a onze an que les portes d’une prison, d’une cellule, me sectionnèrent de la liberté. J’avais 22 ans. Sous ce porche, aujourd’hui, après onze années de détention, la liberté me guette…Si j’en crois la rumeur qui a précédé ma sortie, les tueurs payés par l’homme qui flingua mon frère aîné attendent sur le bitume. Le Folklore des frères corses va-t-il jouer contre moi ? Ce parfum de vendetta qui ferait craindre au tueur de l’aîné la vengeance du cadet…Avec juste raison si je m’étais évadé. » (Jose Giovanni dans ses mémoires)
L’oeuvre de Jose Giovanni compte une vingtaine de romans, une quinzaine de scénarios pour le grand écran et une vingtaine de films réalisés. Le début de sa carrière de romancier est riche de son expérience dans le monde du crime et il se met à écrire sur les conseils de son avocat qui par chance est en contact avec des personnes travaillant à la Série Noire. C’est dans cette partie de sa carrière que l’auteur est probablement le plus intéressant, notamment grâce au réalisme de la déchéance de ses personnages principaux. Ses trois premiers romans écrits entre 58 et 60 tous édités dans la Série Noire reprennent les thèmes de l’évasion, de la fuite et du désemparement, corollaire indiscutable de la rechute des personnages dans la criminalité. Le bonheur semble nullement accessible dans le monde du crime dont la cime de la hiérarchie l’est tout autant. Trois chefs d’œuvres du Roman noir donc qui constituent un témoignage unique sur le milieu : ses codes, sa hiérarchie et qui fournissent une analyse approfondie de la situation d’aliénation du criminel évadé. Ces trois romans que sont :
« Le trou » 1958, « Le deuxième souffle » 1960 et « Classe tous risques » 1960 sont adaptés quasiment immédiatement par des cinéastes de l’époque que sont Jacques Becker pour le « Trou », Jean-Pierre Melville pour « Le deuxième souffle » et Claude Sautet pour « Classe tous risques ». Pour les amateurs de polars réalistes, ces trois livres et ces trois films sont à lire et à voir absolument d’une part parce que ce sont des chefs d’œuvres d’autre part parce qu’ils constituent une base essentielle au polar moderne d’après guerre en France.
Giovanni exorcise ses démons du crime avec une plume froide et épurée de toutes formes d’habillages inutiles. Il explore parfaitement la situation d’enfermement et de déchéance dans laquelle se trouve un condamné, égaré dans le dernier recours de l’évasion. Sombre aventure d’une liberté qui même dehors est impalpable.
Jose Giovanni n’a pas choisit le crime mais l’écriture pour se débarrasser de ce monde à tout jamais. Cela semble avoir fonctionné et bien que ces trois premiers romans soient emprunts d’un réalisme glaçant sa vie et sa carrière artistique relèvent de la limite du Fantastique pour un ancien détenu du couloir de la mort dans la France des années 60. Giovanni est un auteur atypique d’une incroyable force mentale particulièrement émouvant sur les questions du monde carcérale et sur le thème de la peine de mort (cf son film « Deux hommes dans la ville » 1973 avec Jean Gabin et Alain Delon).
Il reste d’une humilité incroyable lorsqu’il côtoie des personnalités telles que Camus, Duhamel, Belmondo ou encore Lino Ventura qui était son ami intime et qui interpréta à merveille bon nombre de ses rôles. Ne vous privez pas si vous êtes amateurs de bons polars les trois cités si dessus sont facilement trouvable et valent sacrément le détour. Et pour ce dire au revoir une belle phrase de Giovanni à sa sortie de prison me semble appropriée : « Aujourd’hui, sous le porche de la maisons centrale de Melun ma mémoire a remisé mon Beretta 9 mm au magasin de l’oubli, sur le rayon des actions imbéciles. »