
Le musée des Arts décoratifs de Paris a récemment consacré une exposition à Claude et François-Xavier Lalanne, sculpteurs de la chimère et du monde vivant, encore trop peu connus.
Les Lalanne ont commencé par un grand coup, vingt-quatre Moutons de laine présentés comme pouvant faire office de sièges au Salon de la jeune peinture en 1966. Plusieurs caractéristiques majeures de l’art de François-Xavier Lalanne s’y trouvent réunies : son penchant pour les sujets animaliers, la composante fonctionnelle de ses sculptures, l’humour qui provoque le rire, par exemple à la vue d’un appartement envahi par un troupeau de moutons. Intitulé Pour Polyphème, ces sympathiques brebis ne sont pas de simples herbivores. En lieu et place des compagnons d’Ulysse, elles cachent sous leur ventre le sourire et le jeu qui s’immiscent l’air de rien dans la sculpture contemporaine.

Les Lalanne posent sur l’art des époques antérieures un regard curieux, rêveur et sans préjugés. Certains hybrides de François-Xavier, comme le Grand Chat polymorphe, le Lapin à vent ou le Minotaure, par leurs volumes épurés, leur monstruosité contrôlée, évoquent la statuaire de la Grèce archaïque ou de l’époque romane. Il y ajoute une fonction aussi fantaisiste que véritable, propre à séduire les enfants et tous les adeptes d’un monde onirique où l’on se baigne dans un hippopotame, dort dans un lit oiseau et boit un verre accoudé à un bar sauterelle.


Ce caractère mystérieux et énigmatique est tout aussi présent dans les œuvres de Claude Lalanne. Procédant par galvanoplastie d’éléments végétaux ou animaux et de moulages du corps humain, son art semble dériver de pratiques secrètes et magiques comme l’alchimie ou l’embaumement. Elle assemble ensuite ces fragments hétéroclites, les rapproche sans a priori pour étudier les correspondances formelles, les accords nouveaux qui naissent de leur juxtaposition. La nature, devenue métal à l’issue d’une immersion prolongée dans des bains d’ions métalliques parcourus par un courant électrique, conserve pourtant sa fraîcheur, comme si la sève et la vie coulaient toujours. Les Portes du jardin, brindilles de cuivre qui semblent garder le royaume des fées, les chaises Hosta, les bancs de branchages, ne sont fragiles qu’en apparence. Ils soutiennent le poids du visiteur, ne s’affaissent ni ne se fanent avec le temps.

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La parenté avec les souples lignes végétales de l’Art nouveau ou les boiseries chantournées du XVIIIe siècle est sensible, de même que l’influence du surréalisme dans certaines associations audacieuses : Collier-bouche, Choupatte monté sur des pattes de poule, Pain-pieds prêt à s’enfuir grâce à ses pieds d’enfants…La réunion de ces caractéristiques, jointe à la vérité botanique et anatomique des éléments, est, elle, nouvelle.
L’élégance préside à la création des pièces de Claude Lalanne, tour à tour facétieuse – un Choupatte, est-ce bien sérieux ? – ou inquiétante, comme cette Main-fenouil ou ces Doigts, moules à quenelles en forme de doigts d’enfants, conçus à l’occasion du Dîner cannibale organisé par Daniel Spoerri dans sa galerie Eat-Art en 1970…Difficile de dire si les enchantements du palais de Dame Claude, chandelles et miroirs soutenus par des plantes aquatiques, feuilles de gingko biloba gigantesques servant de bancs, ne sont que d’inoffensives féeries, apprivoisées par Yves Saint-Laurent pour son appartement rue de Babylone, ou bien si le visiteur imprudent pourrait se retrouver affublé d’un chou en guise de visage, comme L’Homme à tête de chou, acquis par un certain Serge Gainsbourg.
Photos issues de Connaissance des Arts n°681 :
1. F -X Lalanne, Grand Chat polymorphe, 1998, bronze, coll. de Peter Marino, Southampton, New York.
2. F-X Lalanne, Rhinocéros II, 1967, laiton poli, bois, queue en cuir, armature en acier.
3. F-X Lalanne, Minotaure, 1999, bronze, coll. de Peter Marino, Southampton, New York.
4. C. Lalanne, collier Soleil, vers 1970, bronze doré et laiton.
5. C. Lalanne, chaise Gingko, 2001, bronze.
Pour en savoir plus :
Daniel Abadie, Lalanne(s), éd. Flammarion, 2008.