Carnivàle (La Caravane de l’Etrange) : entre fiction narrative et réalité historique, par Jean du Verger
2003-2005 / 2 saisons / créée par Daniel Knauf
En Oklahoma, durant la Grande Dépression de 1934 et le Dust Bowl - série de tempêtes de poussière qui frappèrent pendant une décennie la région des grandes plaines aux Etats-Unis et au Canada -, la bataille entre le Bien et le Mal prend place au sein d’une étrange troupe de forains, à travers les personnages de Ben Hawkins et du Frère Justin.
Souvent comparée à Twin Peaks, avec laquelle elle partage le thème de la lutte entre le Bien et le Mal et une certaine complexité, Carnivàle, faute d’audience, ne fut pas reconduite par HBO au-delà de la deuxième saison. La chaîne s’est toutefois toujours défendue d’une interruption anticipée, certifiant que la série n’était initialement prévue que pour deux saisons, tandis que les fans virent dans le cliffhanger de fin une volonté de son créateur de pousser les choses plus loin.
Le générique - qui obtint en 2004 un Emmy Award - introduit dès le début, par le mouvement de zoom avant vers les cartes de tarot puis de zoom arrière et de retour à la réalité des années 30, cette oscillation permanente de la série entre réel et fiction. La toute première scène est un gros plan sur le nain Samson - incarné par Michael J. Anderson, qui jouait également dans Twin Peaks -, illustrant parfaitement les propos de Deleuze sur l’intemporalité et la localisation spatiale quasi impossible du gros plan. Nous pénétrons ensuite directement dans son cauchemar, lequel contient déjà tous les éléments de la série et en donne les clés. C’est la fonction principale du rêve dans Carnivàle, assortie à la dimension inquiétante qu’il confère à la série. Le cauchemar s’achève et l’action débute dans l’Oklahoma de 1934, montrant ainsi que rêve et réalité, réalité et fiction se succèdent sans laisser au spectateur le temps de distinguer la séparation entre les deux. Le cauchemar du nain, filmé exactement de la même manière que le premier rêve de Dale Cooper, et le choix même de l’acteur ne laissent aucun doute sur l’hommage fait par Daniel Knauf à Twin Peaks et à David Lynch. Dans Carnivàle transparaît également l’influence de deux films de Ted Browning, The Show (1927) et Freaks (1932), qui partagent la même manière inquiétante de montrer le cirque.
Carnivàle repose sur une structure circulaire, la fin de la première saison étant quasiment identique à la fin de la deuxième saison, mais également sur une structure parallèle : chaque saison reprend en effet en miroir des éléments de l’autre saison, utilise des couples de personnages miroirs et établit un parallèle entre le Bien et le Mal.
La série s’inscrit également dans un contexte historique spécifique : si Carnivàle illustre très bien la solidarité présente durant la Grande Dépression, elle évoque également la catastrophe écologique du Dust Bowl, considérée par certains personnages comme un signe annonciateur de l’Apocalypse. Quant à l’omniprésence de la radio, utilisée par Frère Justin pour manipuler les esprits, il est difficile de ne pas y voir une préfiguration du nazisme et du fascisme.
Jean du Verger conclut son intervention en soulignant que tout comme The Wire, Carnivàle illustre parfaitement l’âge d’or des séries HBO. Série hybride qui joue avec le savoir et la culture populaire d’un spectateur interactif, Carnivàle est en quelque sorte le prolongement et l’aboutissement d’un phénomène d’interactivité avec le spectateur installé depuis les années 80 - X-Files jouait sans cesse à intégrer des noms de fans dans ses décors, allant jusqu’à dédier un épisode entier à l’un d’eux - ; un phénomène qui appartenait au début aux spectateurs des networks, et qui dépasse largement HBO.